Homélie dimanche 18 août 20° dimanche ordinaire C

Vous le savez peut-être, le père Mario qui a prêché la semaine dernière est originaire du Québec et se trouve actuellement en mission dans le diocèse de Fréjus-Toulon. C’est sans doute à cause de cette double appartenance qu’il m’a été demandé de donner l’homélie d’aujourd’hui parce que, avec cette origine et ce lieu de mission, c’est sans doute plus difficile pour lui, comme pour ses compatriotes d’ailleurs, de commenter la phrase de Jésus qui dit dans l’évangile que nous venons d’entendre : Je suis venu allumer un feu sur la terre ! On sait les dégâts que peuvent faire les incendies dans le Sud de la France comme au Québec où les étendues de forêts sont encore bien plus importantes que chez nous. Alors, il est possible qu’il serait assez mal vu, le prêtre qui prêcherait en disant : le feu que Jésus a voulu allumer, c’est à vous de l’allumer aujourd’hui ! Imaginez un seul instant que quelqu’un prenne au pied de la lettre cette invitation … C’est le drame assuré et le prêtre serait emprisonné pour complicité de crime !

Pourtant, elle est à prendre au sérieux cette parole de Jésus qui nous fait part du grand désir qui habite son cœur et même de son impatience, alors qu’il était si patient d’ordinaire, là il dit : « Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! »

Alors bien sûr, ce feu il l’a allumé, c’est ce qui s’est passé le jour de la Pentecôte. Et il savait qu’il devrait payer le prix fort pour qu’il soit allumé, il le dit sans détour tout de suite après : « Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli ! » Jésus savait très bien par où il lui fallait passer pour que ce feu soit allumé sur la terre. Et ce n’est pas la bouche en cœur qu’il envisage ce qu’il lui faudra souffrir. Pourtant, il a tout accepté pour que ce feu soit allumé et il a été allumé, mais ça ne suffit pas de dire qu’il a été allumé, il faut ajouter qu’il s’est répandu parce que le propre du feu, c’est de se répandre. J’aime bien présenter l’histoire de l’évangélisation qui nous est racontée dans le livre des Actes des apôtres, comme une histoire de pyromane. A la Pentecôte, les apôtres reçoivent le feu du Saint Esprit et ils le transmettent à tous ceux qui rêvent d’avoir un cœur brûlant d’amour et, désormais, partout où passera un chrétien, à son tour il allumera le feu. Les autorités, tant juives que romaines, ne supporteront pas d’assister à cet embrasement du bassin méditerranéen dans lequel, on peut le dire l’évangile se répand comme un feu. Alors, ils vont mettre en œuvre des persécutions pour arrêter et faire disparaître ces dangereux pyromanes. Mais ça va avoir l’effet inverse, en effet, ceux qui le peuvent partent plus loin pour échapper à la persécution et, du coup, partout où ils passent et partout où ils s’installent le feu va prendre et se répandre. Les persécutions qui devaient circonscrire l’incendie pour mieux l’éteindre vont avoir le résultat inverse, elles vont accélérer le processus d’évangélisation. C’était pourtant prévisible, ce n’est pas en dispersant des pyromanes qu’on va régler le problème des incendies, on ne peut qu’aggraver la situation !

Oui, c’était prévisible parce que le propre du feu, c’est de se répandre… à moins qu’on ne l’étouffe. Or, il faut bien le reconnaître, ce feu, nous l’avons étouffé, en bien des lieux, il n’y a même plus de braises qui fument. Comme sur le site d’un incendie qui a été très actif, il reste chez nous des traces, les vestiges d’une civilisation chrétienne avec des églises qui se visitent comme des musées, des croix que l’on retrouve aux carrefours et qui troublent la neutralité laïque, des madones cachées dans des niches.

Mais où est-il l’incendie ? A part celui qui a ravagé Notre Dame, du feu, on est loin d’en voir dans toutes les églises ! Parmi les chrétiens, combien ont un cœur vraiment habité, brûlé par le feu du St Esprit ? Comment voulez-vous mettre le feu dans une paroisse quand la majorité de ceux qui la fréquentent ont comme préoccupation essentielle que la messe ait lieu dans leur clocher, à l’heure qui leur convient et qu’elle ne dure surtout pas trop longtemps et qu’on ne vienne pas changer leurs habitudes et qu’on ne rajoute pas d’autres prières ou rencontres en semaine parce que, venir le dimanche, c’est déjà un choix courageux ? Comment des cœurs devenus tièdes pourraient-ils mettre le feu ?

Rassurez-vous, je ne fais pas un coup de déprime, mais, il y a des moments où il faut oser porter un regard lucide et cet évangile nous y invite. Jésus a accepté ce baptême, cette plongée dans la mort, et quelle mort, pour que ce feu soit allumé et nous, qu’avons-nous fait de ce feu ? La suite du texte nous donne un élément d’explication pour comprendre ce qui s’est passé : nous avons choisi la paix, mais précisément celle que Jésus n’est pas venue apporter ! « Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien plutôt la division. » Permettez-moi de traduire à ma manière : je ne suis pas venu apporter la tranquillité mais la nécessité de se décider. Or, nous, trop souvent nous voulons être chrétiens, mais sans vraiment nous décider, sans faire les choix qui s’imposent pour manifester que Jésus est bien celui que nous voulons suivre. Pour ne pas nous fâcher avec untel ou unetelle de notre famille, de notre entourage, nous acceptons d’entendre des paroles, de voir des situations ambigües sans réagir. Ce n’est pas pour rien que Jésus dit : « Désormais cinq personnes de la même famille seront divisées : trois contre deux et deux contre trois » Et qu’il fait ensuite la liste de toutes les divisions possibles. Bien sûr, il ne s’agit pas d’être intransigeant, de chercher à se fâcher avec nos proches, mais il s’agit, sans jamais manquer d’amour, d’être clair et d’en accepter les conséquences.

Je viens de finir un livre extraordinaire, c’est un roman, mais qui a été écrit à partir d’éléments tout à fait sérieux qui raconte les années de détention du cardinal Nguyen Van Thuan. Il a été nommé archevêque coadjuteur de Saïgon et quelques semaines après, avant même qu’il n’ait pu prendre ses fonctions, il est arrêté et sera emprisonné 13 ans dont plusieurs années dans un isolement total et dans des conditions absolument dégradantes. Un gradé venait le voir régulièrement pour lui proposer de signer un papier reconnaissant qu’il était un espion au service des puissances impérialistes et que, en échange, il serait libre, expulsé du pays. Même dans les pires moments, il n’a jamais voulu signer ce papier.

Au bout d’un moment, il réussira à se faire transmettre un peu de vin en laissant croire qu’il s’agit d’un médicament et quelques hosties bien cachées dans un paquet. Chaque jour, il pourra célébrer l’Eucharistie avec quelques gouttes de vin dans la paume de sa main et une infime parcelle d’hostie. Chaque jour, il renouvelait ainsi l’offrande de sa vie en union au sacrifice de Jésus, recevant la force dont il avait besoin pour tenir. Et, chaque jour, avant de commencer la messe, célébrée dans le plus grand des secrets, il évoquait la longue chaine des martyrs qui étaient restés fidèles et qui avaient accepté de donner leur vie pour que lui, il puisse aujourd’hui célébrer l’Eucharistie et y puiser la force dont il avait besoin pour remplir chaque instant de sa vie du maximum d’amour comme le lui avait appris sa maman qui avait été à l’école de Thérèse de Lisieux.

Le résultat, c’est que tous les gardiens chargés de le surveiller finissaient par se convertir, ce qui faisait par faire le désespoir des gradés qui eux-mêmes finissaient par être touchés par l’amour qui émanait de ce détenu qui était pourtant celui qui était le plus maltraité. Quand il n’était pas à l’isolement, ses compagnons de détention, eux aussi, étaient touchés et la plupart se convertissaient ou au moins trouvaient la force de tenir le coup. Son ministère aura sûrement été bien plus fécond que s’il avait été un archevêque installé dans son évêché. C’est un véritable feu d’amour qui s’est répandu dans tous les lieux où il a été emprisonné. Mais voilà, ce feu a eu un prix : qu’il accepte de renoncer à la tranquillité, que ses choix en faveur de Jésus et de l’Evangile soient clairs.

Alors rassurons-nous, il y a peu de chances ou peu de risques, selon le point de vue où nous nous plaçons, que nous finissions en prison pour avoir eu des choix clairs en faveur de Jésus. Mais ce qui est sûr, c’est que si nous nous contentons d’un cœur tiède, il ne faut pas s’étonner que nous ne puissions pas mettre le feu autour de nous !

Mes amis, nous avons écouté la Parole, nous allons recevoir Jésus qui se rend présent dans la fraction du pain, c’est-à-dire que nous allons refaire l’expérience qu’avaient faite les deux disciples sur le chemin d’Emmaüs. Puissions-nous, comme eux, retrouver un cœur brûlant. Parce que, si nous les chrétiens, nous ne semons pas le feu de l’évangile notre monde finira par mourir de froid. Et quand on a un cœur vraiment brûlant, semer le feu ne nous demande aucun effort sinon celui d’entretenir en nous ce feu !

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