Pour ceux qui connaissent les Ecritures, la 1° lecture a une tonalité un peu étonnante ? En effet ce que dit le prophète Isaïe ressemble, mot pour mot, à certaines prédications du prophète Amos que nous lisions il y a 15 jours. Or, Amos et Isaïe étaient tellement différents qu’il est surprenant de les entendre utiliser les mêmes mots. En effet, Amos était un simple berger assez révolté de voir les riches dignitaires exploiter les pauvres et ensuite aller se pavaner au Temple, sa prédication était donc incisive, engagée, dirait-on aujourd’hui. A l’inverse, Isaïe, lui, il était un aristocrate, conseiller des rois, pouvant aller et venir librement dans le palais. Alors comment se fait-il que ces deux prophètes si différents parlent d’une seule voix ? Eh bien, c’est très simple, ils parlent d’une seule voix, parce que c’est la voix du Seigneur qu’ils sont chargés de faire entendre. C’est d’ailleurs l’étymologie du mot prophète ; « pro-phoneô » en grec, ça signifie porter la voix d’un autre, être son porte-parole ; voilà la mission que doit accomplir un prophète : être le porte-Parole de Dieu.
Cette comparaison entre Amos et Isaïe nous montre que l’un et l’autre ont parfaitement accompli leur mission. Ils ont su faire passer au second plan leur personnalité, leurs intérêts, leurs idées, pour mettre en avant la voix de Dieu, pour faire entendre tout ce que Dieu avait à dire à son peuple en essayant de ne pas le trahir, le polluer par leurs idées, à eux. Le défi reste entier, aujourd’hui. En effet, quand le Seigneur appelle quelqu’un, ce n’est pas pour que cette personne utilise le micro qui lui est tendu pour dire ses propres opinions, mais pour porter la Parole du Seigneur. Alors, bien sûr, chacun le fera en fonction de sa personnalité, chaque porte-parole aura légitimement des intonations différentes, mais il faut que la Parole du Seigneur reste le cœur de la prédication de tout prédicateur. Nous pouvons donc prier pour tous ceux qui exercent ce ministère.
Et alors, quelle est-elle, la Parole du Seigneur qu’Amos et Isaïe sont capables de transmettre dans les mêmes mots, malgré leurs différences ? Eh bien, cette Parole nous dit qu’il n’y a rien qui énerve plus Dieu que l’hypocrisie. Je dis qui énerve Dieu, car je pense que vous avez senti dans les paroles de la 1° lecture que Dieu était énervé et ce qui l’énerve, c’est l’hypocrisie. Bien des gens sont très présentables quand ils viennent offrir un sacrifice alors qu’ils le sont beaucoup moins dans la vie privée, dans la vie quotidienne. Là encore, le défi reste entier pour nous car, nous aussi, nous sommes souvent bien plus présentables à la chapelle que dans la vie quotidienne, la vie privée où il nous arrive de mépriser certaines personnes, de les juger, de les exclure. Entendons Dieu nous dire que nous l’écœurons quand nous venons, avec des visages d’anges, lui offrir des prières alors que nos cœurs sont remplis de haine, d’égoïsme, de jugements et que, du coup, nos actes sont si souvent en contradiction avec l’Evangile.
Alors que faut-il faire ? Ne plus venir prier tant que nous ne serons pas devenus meilleurs ? Evidemment, non ! Parce que, pour résumer notre avancée sur le chemin de la conversion, nous pourrions reprendre la comptine des enfants : 3 pas en avant, 3 pas en arrière, 3 pas sur le côté et trois pas de l’autre côté ! A ce rythme qui est un peu notre rythme à tous, nous n’avançons pas vite, alors si nous attendons d’être convertis pour prier, notre place à la chapelle va rester vide pendant un bon moment ! Non, il ne s’agit pas d’attendre d’être devenus meilleurs pour venir prier, mais il s’agit de venir prier pour devenir meilleurs. C’est-à-dire que nous venons prier, en reconnaissant nos misères et, en même temps, en offrant à Dieu ces grands et beaux désirs qui habitent nos cœurs. Bref, il s’agit de venir prier comme le publicain de l’Evangile et non comme le pharisien qui vient se montrer et faire admirer à Dieu toutes se B.A. en ayant bien pris soin de cacher sous le tapis toute l’horreur de ses péchés.
Quelques mots sur l’Evangile ! Quand on entend ce que Jésus dit, on aurait envie de lui faire remarque qu’il semble se contredire. Là, il dit : Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre : je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. Et, dans l’Evangile de St Jean, il dit le contraire et ce sont d’ailleurs ces paroles qu’on a retenues pour la messe et intégrées à la messe : Je vous laisse la Paix, je vous donne ma Paix, que vos cœurs ne se troublent pas. Alors, il donne la paix ou il ne donne pas la paix ?
Eh bien, les deux ! Tout dépend de ce qu’on met sous le mot paix. Si pour nous, la paix, c’est équivalent à la tranquillité, c’est sûr que Jésus ne nous la donne pas. Suivre Jésus, c’est sûr que ça ne conduira pas à la tranquillité. Une théologienne protestante a d’ailleurs écrit un livre sur ce sujet au titre évocateur : l’intranquillité ! Jésus ne nous donne pas la tranquillité car le suivre, ça sera toujours une aventure pleine d’imprévus ! Je peux vous dire que si on m’avait dit, il y a 40 ans, quand j’ai été ordonné à Ars, qu’un jour, je serai recteur d’un sanctuaire marial dans le diocèse de Nice, ça m’aurait fait rigoler ! C’est sûr, Jésus ne laisse pas tranquille, les choix qu’il nous pousse à faire et que cet Evangile évoque ne peuvent pas nous laisser tranquilles. Et pourtant, de manière très paradoxale, pour vivre sereinement cette intranquillité, il donne sa paix !
Plutôt que le l’expliquer théoriquement, je raconte cette petite histoire que nous tenons de Jean XXIII, lui-même. Au début où il était pape, il disait lui-même qu’il ne savait encore pas bien faire le pape, j’aime beaucoup cette expression ! Un soir, au début, donc, il se couche, avec un très gros souci en tête qui l’empêche de s’endormir. Au bout d’un moment, il se dit : demain, il faut que j’en parle au pape pour voir avec lui comment on peut s’en sortir … et immédiatement, il se rappelle que c’est lui, le pape ! On pourrait imaginer que cette prise de conscience l’a terrorisé, eh bien, c’est tout l’inverse ! Il explique qu’il s’est tourné sur le côté en se disant : Angelo, tu n’es que le Pape, alors, endors-toi, ce qu’il a fait très paisiblement ! Tu n’es que le pape, voilà une belle parole qui exprime un grand acte de foi : c’est le Seigneur qui conduit son Eglise. Alors, il peut y avoir des tempêtes, le Seigneur est là ! C’est aussi vrai dans nos vies et voilà ce qui peut nous tenir en paix dans l’intranquillité quotidienne.
Par l’intercession de Notre Dame de Laghet, demandons la grâce de ne pas vivre dans l’hypocrisie et de croire que, quelles que soient les tempêtes qui secouent nos vies, le Seigneur dirige nos vies pour nous conduire à vivre un jour parfaitement unis à Lui.