Jeudi saint : quand le juste sauve les condamnés multirécidivistes !

Ce matin, dès le réveil, j’ai eu un chant et une image qui, je l’ai bien compris devaient nourrir la préparation de mon homélie. Je dois l’avouer, même si je suis charismatique, ce n’est pas très fréquent ! Et ça m’a bien fait sourire parce que j’ai compris qu’avec ce chant et cette image, c’était un peu comme si le Seigneur me disait : quand même Roger, tu ne vas pas leur faire ça ! C’est quoi « ça » ? Eh bien, je fais une confession publique : hier soir, pour m’avancer, je suis resté un peu dans mon bureau pour préparer l’homélie et j’avais décidé de recycler un enseignement que j’avais donné sur l’Eucharistie pour en faire mon homélie ! Quand je suis allé me coucher, le travail était fini et je me suis dit : c’est bien, comme ça, demain, tu pourras profiter de la journée ! Et voilà qu’au réveil, le Seigneur me dit : « quand même Roger, tu ne vas pas leur faire ça ! » Et pour bien me montrer qu’il ne voulait pas que je vous serve ma bouillie réchauffée, il m’offre, de manière complémentaire, ce chant et cette image qui m’obligeait à me remettre aux fourneaux pour cuisiner du frais !

Le chant, c’est le traditionnel chant du Jeudi saint que nous ne prendrons pas (mais ce n’est pas grave du tout !) qui a été composé par mon premier supérieur de séminaire : la nuit qu’il fut livré, le Seigneur prit du pain, c’est surtout le refrain que j’ai fredonné au réveil : ma vie, nulle ne la prend, mais c’est moi qui la donne. Ce n’est pas pour rien que nous parlons du Triduum pascal, ce que nous vivons dans ces 3 jours est intrinsèquement lié et nous ne pouvons pas parler de la grâce attachée à l’un de ces 3 jours sans la relier aux grâces des deux autres jours. « Ma vie, nulle ne la prend, mais c’est moi qui la donne. » cette parole de Jésus en St Jean nous invite fortement à vivre l’Eucharistie comme l’anticipation du vendredi Saint. Le vendredi, on a cru pouvoir lui prendre sa vie, mais, en fait, on n’a rien pu lui prendre puisqu’il avait tout donné la veille : ma vie, nulle ne la prend, mais c’est moi qui la donne. 

J’aime cette parole de Marie de Hennezel, vous savez la fameuse psychologue, spécialiste des soins palliatifs, qui a accompagné François Miterrand dans ses derniers mois. Elle a écrit un excellent petit livre qui reprend la fameuse formule que Miterrand, l’agnostique, avait prononcé à ses derniers vœux, « Croire aux forces de l’esprit. » Quelle que soit votre opinion sur Miterrand, je vous conseille ce livre, parce que, demême qu’on fait de la préparation au Baptême, il faudrait que toute notre vie nous fassions de la préparation à la mort, une préparation au bien-mourir et voilà un très bon livre pour nous y aider … Je ferme la parenthèse ! Marie de Hennezel a cette phrase extraordinaire : la mort ne nous prendra que ce que nous n’avons pas su donner ! Je trouve que c’est un excellent résumé du lien que nous pouvons faire entre le jeudi et le vendredi saint. Le vendredi, les hommes n’avaient plus rien à prendre parce que Jésus avait tout donné le jeudi.

Et l’image qui complétait ce chant, c’était la suivante. J’ai pensé ou j’ai vu, c’est sûrement les deux à la fois, une personne qui allait mourir. Pour qu’elle ne meure pas, il fallait lui faire immédiatement une transfusion. Je ne pense pas que ça existe en vrai, mais cette transfusion était très particulière puisque celui qui donnerait le produit dont la personne malade avait besoin allait mourir en le donnant. Vous imaginez, on lance un appel en disant : on aurait besoin d’une personne qui vienne de toute urgence donner tel produit sanguin, mais celui qui le donnera va mourir en faisant ce don. En lançant cet appel, il n’est pas sûr qu’il y ait beaucoup de candidats qui se portent volontaires !

Et si vous voulez renforcer encore l’image pour qu’elle parle vraiment de ce qui se passe dans ce jeudi saint anticipation du vendredi, il faut rajouter cet élément déterminant : la personne malade qui va mourir est un moins que rien, un condamné multirécidiviste. On peut imaginer que personne ne se sentirait appelé à faire un tel geste. Si c’était la vie du pape qui était menacée, ils se trouveraient bien quelques bonnes âmes pour accepter ce sacrifice, mais pour un condamné multirécidiviste, il ne faut quand même pas exagérer, il va mourir et c’est bien ce qu’il mérite !

J’espère que vous comprenez l’analogie : vous et moi, chaque être humain, nous sommes ce condamné multirécidiviste. Nous sommes pécheurs et pécheurs invétérés, pécheurs endurcis dans le péché, ce statut de pécheur multirécidiviste, en toute logique, devrait nous mériter la condamnation. Mais voilà que quelqu’un se propose et dit : je me propose, moi, pour que cette personne ne meurt pas, je veux bien donner ma vie pour lui, pour elle. Et celui qui se présente, ce n’est pas un autre condamné, solidaire dans le vice et la misère, non ! Celui qui se présente, c’est le seul Juste, le Fils du Dieu tout-puissant. C’est lui qui arrête le processus de mort annoncée et qui donne sa vie pour que moi, pécheur multirécidiviste, je puisse continuer à vivre ! C’est inouï. Merci, Seigneur de cette image que tu m’as donnée. Elle correspond tellement bien au raisonnement que Paul fait dans le début du chapitre 5 de l’épitre aux Romains : « Alors que nous n’étions encore capables de rien, le Christ, au temps fixé par Dieu, est mort pour les impies que nous étions. Accepter de mourir pour un homme juste, c’est déjà difficile ; peut-être quelqu’un s’exposerait-il à mourir pour un homme de bien. Or, la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs. »

Pensons-y à chaque fois que nous venons communier, c’est une transfusion de vie que nous recevons, cette transfusion de vie dans laquelle le seul Juste a accepté de donner sa vie pour que nous, les condamnés multirécidivistes, nous puissions avoir la vie. Alors, quand on réalise un peu mieux ce qui se passe quand nous venons communier, c’est sûr que nous devenons débordant d’amour. Comment pourrait-il en être autrement ? Inondé d’un tel amour, si puissant puisqu’il donne la vie, si gratuit puisque je ne le mérite pas, comment pourrais-je faire autrement que de le laisser déborder de mon cœur ? C’est bien ce qui veut être signifié dans le jeudi saint par le lien entre eucharistie et lavement des pieds. Il n’est pas possible qu’une messe vécue dans la foi ne débouche pas sur l’amour vécu concrètement. Et il n’est pas possible que l’amour puisse être vécu quotidiennement et sans exclusive sans qu’il ne soit alimenté par la messe.

Le problème, c’est que souvent, ça ne marche pas aussi bien. Je sors de la messe, le condamné multirécidiviste que je suis vient d’être sauvé de la mort, et je réactive mes vieilles embrouilles avec telle ou telle personne ! Comme c’est dommage que je ne laisse pas porter tous ses fruits à l’Eucharistie que je viens de recevoir, comme c’est dommage que, comme le disait Marthe, j’en bloque les effets. Vous connaissez cette parole qu’elle a dite quand elle était questionnée sur le fait qu’elle ne mangeait pas, mais qu’on peut tout à fait transposer à ce que je viens de dire : « J’ai envie de crier à ceux qui me demandent si je mange, que je mange plus qu’eux, car je suis nourrie par l’Eucharistie. J’ai envie de leur dire que ce sont eux qui arrêtent en eux les effets de cette nourriture. Ils en bloquent les effets. » Si nous ne bloquions pas les effets de l’Eucharistie, nos vies seraient transformées, nos communautés seraient transformées, le monde serait transformé, il y a une telle puissance dans l’Eucharistie.

Puisqu’il n’y a pas de lavement des pieds, je peux me permettre d’être un peu plus long ! C’est pourquoi je voudrais, pour terminer vous citer ces paroles de Benoit XVI aux JMJ de Cologne qui leur rappelait la puissance de l’Eucharistie, c’est un peu long, mais c’est tellement beau : Comment Jésus peut-il donner son Corps et son Sang ? Faisant du pain son Corps et du vin son Sang, il anticipe sa mort, il l’accepte au plus profond de lui-même et il la transforme en un acte d’amour. Ce qui de l’extérieur est une violence brutale – la crucifixion -, devient de l’intérieur l’acte d’un amour qui se donne totalement. Telle est la transformation substantielle qui s’est réalisée au Cénacle et qui visait à faire naître un processus de transformations, dont le terme ultime est la transformation du monde jusqu’à ce que Dieu soit tout en tous (cf. 1 Co 15, 28). Depuis toujours, tous les hommes, d’une manière ou d’une autre, attendent dans leur cœur un changement, une transformation du monde. Maintenant se réalise l’acte central de transformation qui est seul en mesure de renouveler vraiment le monde :  la violence se transforme en amour et donc la mort en vie. Puisque cet acte change la mort en amour, la mort comme telle est déjà dépassée au plus profond d’elle-même, la résurrection est déjà présente en elle. La mort est, pour ainsi dire, intimement blessée, de telle sorte qu’elle ne peut avoir le dernier mot. Pour reprendre une image qui nous est familière, il s’agit d’une fission nucléaire portée au plus intime de l’être – la victoire de l’amour sur la haine, la victoire de l’amour sur la mort. Seule l’explosion intime du bien qui vainc le mal peut alors engendrer la chaîne des transformations qui, peu à peu, changeront le monde. Tous les autres changements demeurent superficiels et ne sauvent pas. C’est pourquoi nous parlons de rédemption :  ce qui du plus profond était nécessaire se réalise, et nous pouvons entrer dans ce dynamisme. Jésus peut distribuer son Corps, parce qu’il se donne réellement lui-même.

Cette publication a un commentaire

  1. wilhelm richard

    Une homélie c’est comme une retransmission sportive à la télévision : réchauffées, elles n’ont plus la même saveur !
    Toutes les deux réservent toujours de belles surprises.
    Votre coach, appelé l’Esprit-Saint, vous entraîne à aller plus loin, à aller au bout de vos limites, à vous surpasser !
    Quelle belle confiance, quel beau résultat !!!

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