2 mars : samedi 2° semaine de carême : Dieu n’est pas raisonnable !

Est-ce qu’il ne vous arrive pas de penser que Dieu est déraisonnable ? Quand Dieu est déraisonnable à l’égard des autres, ça nous gêne parfois car on ne trouve pas toujours normal qu’il aime les autres de manière déraisonnable. Ça nous gêne moins quand c’est nous qui sommes bénéficiaires de cet amour déraisonnable ! Cet amour déraisonnable, nous le savons, il porte un nom, c’est la miséricorde. J’ai déjà cité cette définition que le cardinal Kasper, un grand théologien, donne de la miséricorde, il dit que c’est la décision irrévocable de Dieu de tenir son cœur proche de ceux qui sont dans la misère. Eh bien, la page d’Evangile que nous avons entendue, page si connue, est sans doute la plus belle illustration de ce qu’est la miséricorde de Dieu.

Dans cette page d’Evangile, c’est clair, Dieu n’est pas raisonnable, en tout cas, il n’agit pas de manière raisonnable. Et il y en a un qui va le faire remarquer, c’est le fils ainé de la parabole qui nous représente bien quand nous nous indignons devant le fait que Dieu aime de manière un peu trop déraisonnable ceux qui, à nos yeux, ne le méritent pas.

La scène que le fils ainé fait à son père, quand il revient des champs, il a dû la lui faire des centaines de fois. On peut légitimement imaginer qu’à chaque fois qu’il voyait son père s’abimer les yeux en guettant, au bout du chemin, l’improbable retour de son fils, il devait lui dire : laisse tomber, tu as bien vu qu’il n’en valait pas la peine ! Et quand, au cours des repas, plombés par un silence de mort, il voyait une larme au coin des yeux du père, il devait à nouveau se mettre en colère et chercher à raisonner son père : mais tu vois bien qu’en te demandant sa part d’héritage, il t’a montré qu’il aurait préféré que tu sois mort, et toi, tu pleures encore sur lui ? Et j’imagine que le matin, au petit déjeuner c’était le même refrain quand le fils ainé voyait les yeux de son père si lourds d’avoir encore passé une nuit d’insomnie et de cauchemars en pensant à son fils parti, perdu. Oui, les paroles que le fils ainé devait échanger avec son père devaient être des tentatives pour ramener ce père déraisonnable à la raison.

Mais comment voulez-vous que ce père puisse se raisonner ? Son instinct maternel de père, car, nous le voyons bien, ce père aime comme une mère, son instinct maternel de père ne le trompe pas ! Il sait, il ressent que son fils est en difficulté. Comment voulez-vous, que, dans ces conditions, il puisse se raisonner ? Ce père au cœur de mère, il est miséricordieux et on pourrait maintenant légèrement transformer la définition du cardinal Kasper en disant que la miséricorde est la décision irrévocable et déraisonnable que Dieu a prise d’écouter son cœur qui le pousse de manière irrésistible à se tenir proche de ceux qui sont dans la misère, quelle que soit cette misère et quelles que soient les raisons pour lesquelles ils se retrouvent dans cette misère.

Et voilà que l’impensable se produit, le fils parti est en train de revenir ; comme aimanté par le cœur aimant de son père, il retrouve le chemin de la maison. Depuis son poste de garde, dans lequel il passait ses journées à le guetter, dès que le père l’aperçoit, il devient encore plus déraisonnable, il court pour aller à sa rencontre. Vous vous rendez compte, il court ! Il oublie toutes les convenances de cette région du monde, car, en Orient, il n’y a que les gamins qui courent ! Les adultes et à plus forte raison les vieux, ils se dominent, ils gèrent leurs émotions, c’est d’ailleurs le signe de leur sagesse, donc ils ne courent pas. Mais lui, le père de la parabole, il court, il oublie les convenances, son âge, ses rhumatismes et ses nuits sans sommeil, il court ! 

C’est bien vrai, il est encore plus déraisonnable que ce que pensait et disait son fils ainé. Il court parce qu’il a bien trop peur que, ravagé par la culpabilité, la honte et la peur d’être mal accueilli, le fils perdu fasse demi-tour, alors il court pour aller à sa rencontre, pour que son fils n’ait pas tout le chemin à faire. Il n’en pouvait plus d’attendre ce moment dont il rêvait sans trop oser y croire, ce moment où il pourrait le serrer dans ses bras, comme quand il était un enfant et qu’il aimait ces câlins de son papa. Et quand il arrive vers lui, il oublie, il ne voit pas, il ne sent pas la crasse, la vermine, il le serre dans ses bras et le couvre de baisers ! 

Quand les serviteurs, priés d’aller chercher le fils ainé, lui raconteront l’émotion et la joie de son père serrant son frère dans ses bras, lui n’en pourra plus. A quoi bon se casser la nénette à être bon si les « moins que rien » trouvent, eux aussi, une place dans les bars de Dieu, sur le cœur de Dieu ? Je vous le rappelle, ce fils aîné, il nous représente quand nous nous indignons de l’amour déraisonnable de Dieu à l’égard des crapules et que, par contre, nous trouvons normal de recevoir sa miséricorde à chaque fois que nous la lui demandons !

Laissons-nous aimer de cet amour déraisonnable car Dieu est tout aussi déraisonnable à l’égard des crapules qu’à notre égard ! J’aimais cette conclusion de la parabole dans un sketch biblique qui disait : un père avait 2 fils, un lointain si proche et un proche si lointain, mais pour les deux, un même amour ! Laissons-nous aimer par cet amour déraisonnable pour le propager, le monde en a tant besoin !

Dans son livre « Dieu est miséricorde », le pape François raconte cette anecdote savoureuse que je crois avoir déjà raconté, mais comme les participants à la messe ne sont jamais les mêmes, je peux la raconter à nouveau ! Je vous la livre pour terminer : « Il me vient à l’esprit un grand confesseur, un prêtre capucin, qui exerçait son ministère à Buenos Aires. Un jour, il est venu me voir. Il voulait parler. Il m’a dit : Je suis venu te demander de l’aide, j’ai toujours beaucoup de gens devant mon confessionnal, des personnes en tout genre, certains d’une grande humilité d’autres pas, mais aussi tant de prêtres… J’ai des scrupules, parce que je sais que je pardonne trop ! Nous avons parlé de la miséricorde et je lui ai demandé ce qu’il faisait quand il avait ce genre de scrupules. Il m’a répondu : Tu sais, quand je sens que ce scrupule est trop fort, je vais à la chapelle, devant le tabernacle, et je dis à Jésus : Excuse-moi, Seigneur, mais c’est de ta faute, parce que tu m’as donné le mauvais exemple ! Je ne l’oublierai jamais !

Par l’intercession de Notre Dame de Laghet, demandons la grâce de pouvoir goûter à cet amour déraisonnable de notre Père du ciel. Et que notre joie de nous savoir aimés de manière si inconditionnelle transfigure nos manières d’aimer.

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