14 septembre : fête de La Croix Glorieuse

En méditant les lectures d’aujourd’hui, ce qui m’a frappé, c’est de constater qu’un même mouvement est évoqué dans la première lecture comme dans l’Evangile, mouvement d’abaissement puis d’élévation. Ce mouvement a été résumé de manière synthétique dans l’Evangile : « Nul n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme. » Et il a été explicité dans l’hymne aux Philippiens que nous avons entendue dans la première lecture. La première partie de l’hymne nous fait contempler l’abaissement de Jésus et la deuxième partie son exaltation. Ce double mouvement d’abaissement et d’exaltation est un bon condensé du mystère de la croix que nous célébrons en cette fête de la Croix glorieuse.

Puisque l’hymne aux Philippiens nous y invite, commençons par méditer sur les différentes phases de l’abaissement de Jésus pour mesurer l’ampleur de ce premier mouvement. Je crois avoir déjà dit que si Jésus avait dû se choisir une devise comme les évêques, il n’aurait sans doute pas hésité longtemps, ça aurait été quelque chose du genre : toujours plus bas ! Ce que je vais dire, évidemment nous le savons, une homélie, comme une retraite d’ailleurs, ce n’est pas forcément fait pour apprendre des choses nouvelles, mais pour nous laisser toucher par ce que nous savons déjà, pour faire descendre dans notre cœur, ce qui reste trop souvent dans notre tête. Et, en ce jour particulier, où nous méditons sur le mystère de la croix, c’est encore plus vrai que d’habitude.

  • Premier acte dans la grande opération du Salut qui se traduit par une série d’abaissements : du ciel, il est venu sur la terre, et il n’a pas vu le jour dans une clinique réservée aux VIP ! C’est déjà un bel abaissement qui sera poursuivi par ces 30 années à Nazareth. Lui, le Fils éternel de Dieu va se retrouver plongé dans l’anonymat le plus complet. Il était un habitant de Nazareth parmi les autres habitants. Cet abaissement pourtant déjà étonnant ne suffisait encore pas. 
  • Pour commencer son ministère public, il a voulu recevoir le baptême de Jean. Il y a deux éléments qui peuvent être soulignés dans cette démarche. C’est d’abord la représentation que nous pouvons nous en faire. Ils étaient très nombreux ceux qui venaient se faire baptiser par Jean et Jésus s’est fondu dans cette file, il n’a pas cherché à décliner son identité pour s’éviter de faire la queue. Il est passé à son tour, quel abaissement ! Mais ce n’est pas le seul élément puisque ce baptême a eu lieu à proximité de la mer Morte qui est l’endroit le plus bas au monde, -450 mètres en-dessous du niveau de la mer. L’abaissement est de plus en plus manifeste.
  • Autre élément, mais, rassurez-vous, je ne les passerai pas tous en revue, cet élément m’a vraiment saisi à chaque fois que j’ai eu l’occasion d’aller à Capharnaum. Quand on voit les fouilles qui ont mis à jour toute une série de maisons de pêcheurs dont la maison de Pierre et qu’on voit la taille de ces maisons, c’est très impressionnant de penser que Jésus logeait là avec quelques-uns de ses apôtres quand il venait, comme le dit l’Evangile, à la maison. Quelle promiscuité, quelle absence de confort, d’intimité. Le Fils de Dieu a voulu connaître aussi cet abaissement de vivre des conditions de vie ressemblant à celles de ceux qu’il était venu sauver.
  • Et puis, il y aura toute la passion. La nuit passée sous terre dans ces citernes-prison du palais du grand-prêtre et peut-être que l’une de ces citernes était un collecteur d’égout, on imagine dans quelles conditions, il a passé la nuit. Puis, ce seront les humiliations de ces souffrances infligées gratuitement : flagellation, manteau jeté sur le corps lacéré et couronne d’épines. Tout cela étant suivi du chemin de croix au cours duquel Jésus tombe 3 fois, écrasé par le poids de la croix. Il vivra ces chutes et ces rechutes comme autant d’occasions de descendre encore et toujours plus bas.
  • Enfin arrivé au Golgotha, il y a cette ultime épreuve des clous plantés dans la chair et de la croix relevée sans ménagement, mouvement qui va déchirer sa chair et provoquer des souffrances inqualifiables.

De manière étonnante, c’est là aussi que commence le mouvement d’exaltation. Ceux qui redressent la Croix sans ménagement ne pensaient sûrement pas accomplir un tel geste prophétique dont Jésus donnera la signification, par avance, dans l’entretien avec Nicodème dont nous avons entendu un extrait dans l’Evangile : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle. » 

Elevé sur la croix, Jésus pouvait mourir en disant : « Tout est accompli. » Et tout est accompli parce que, comme le disait Paul : il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. Peut-être convient-il de dire un mot sur la mention de l’obéissance. Jésus a été obéissant jusqu’à la mort et la mort sur la croix, pour reprendre une conversation du petit déjeuner, ça ne signifie pas que le Père lui ait dit : souffre et tais-toi ! J’aime bien citer cet extrait d’un sermon de Bossuet qui nous fait froid dans le dos quand on l’entend : « Tu te jettes, o Jésus dans les bras de ton Père et tu te sens repoussé, tu sens que c’est lui qui te persécute, qui te frappe, lui qui t’abandonne, lui qui t’écrase sous le poids énorme et insupportable de sa vengeance… La colère d’un Dieu irrité : Jésus prie et le Père, fâché, ne l’écoute pas ; c’est la justice d’un Dieu vengeur des outrages reçus ; Jésus souffre et le Père ne s’apaise pas ! » Quelle horreur ! Bossuet était sans doute plus doué pour les oraisons funèbres et les joutes oratoires que pour faire entrer dans le grand amour déployé dans le mystère du Salut ! 

Dimanche, j’évoquais déjà cette question en opposant la fidélité vécue dans l’amour à la fatalité : il fallait que le Christ souffre, oui, il fallait qu’il aille jusqu’au bout de l’amour et la souffrance peut devenir un révélateur d’amour, quand on est encore capable d’aimer alors que l’on souffre, c’est le signe qu’on ne triche pas. Jésus aura tout vécu dans l’amour et c’est en cela qu’il a été obéissant. Je vous rappelle que « obéissant » vient du verbe écouter, obéir, c’est ob-audire. Jusqu’au bout Jésus aura écouté son Père qui l’encourageait, non pas à souffrir, mais à aimer dans les souffrances qu’il subissait. Et c’est parce qu’il a su aimer jusqu’au bout de l’humiliation subie, jusqu’au bout de l’abaissement qu’il a été exalté. Tout le mystère du Salut se trouve résumé dans ce double mouvement d’abaissement et d’exaltation, une exaltation déjà esquissée au Golgotha mais qui éclatera dans la résurrection. Est-il besoin de préciser que lorsqu’on parle du Salut, il ne s’agit pas d’en parler de manière abstraite et général, non, c’est pour moi que Jésus a vécu tout cela selon cette belle parole de Paul : « Le Christ m’a aimé et s’est livré pour moi. » et n’ayons pas peur, pour être très réalistes, de rajouter : pour moi qui le mérite si peu ! Comme je le disais, ceux qui ont cloué Jésus la croix ne pensaient pas accomplir un geste qui aurait une telle portée. 

Et c’est très beau de penser que Jésus, sur la croix, est mort les bras grands ouverts. Vous connaissez peut-être le père Joseph-Marie Verlinde qui a vécu une partie de sa vie en Inde, ce n’est pas la partie dont il est le plus fier. Suite à son expérience là-bas, il aime comparer les représentations du Christ en Croix et du Bouddha. Le Christ a les bras grands ouverts pour accueillir tous ceux qui ont besoin d’aller s’y blottir alors que le Bouddha est recroquevillé dans une attitude d’introspection, très individualiste.

C’est vers ce mystère du Salut, mystère d’amour que nous tourne cette fête de la Croix Glorieuse. Ce mystère du Salut, indissociablement mystère d’amour, Jésus lui-même l’a si bien résumé dans les paroles de la fin de l’Evangile que nous avons entendue. « Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. » Ce mystère du Salut, nous savons qu’il se réactualise au cours de chaque Eucharistie. Le pape Jean-Paul II avait particulièrement insisté sur ce point dans sa dernière encyclique consacrée à l’Eucharistie, participer à la messe, c’est devenir les contemporains de ce qui a été vécu au Golgotha, c’est recueillir les fruits du Mystère du Salut. Merci Seigneur pour ton amour qui se déverse à flots et que tu nous invites à recueillir aujourd’hui encore en participant à cette Eucharistie avec des cœurs totalement ouverts et pleins de gratitude.

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