17 mars : jeudi 2° semaine de carême. Quand le pauvre est revêtu de la richesse d’un nom … et quel nom !

Je ne veux pas trop m’attarder sur la 1° lecture parce qu’il me semble qu’un peu avant le carême, nous avions déjà eu un texte semblable. Je n’ai pas pu retrouver le jour et donc je n’ai pas retrouvé l’homélie ! Mais, comme je ne voudrais pas vous fatiguer en redisant la même chose, je fais juste un résumé que chacun pourra compléter par sa propre méditation. 

Les premiers mots de la lecture pourraient nous choquer : maudit soit l’homme et ils pourraient d’autant plus nous choquer qu’ils viennent juste après cette déclaration d’ouverture : ainsi parle le Seigneur. Mais il convient de bien lire, il n’est pas dit que c’est le Seigneur qui maudit l’homme qui se détourne de lui. Le Seigneur ne fait que constater les dégâts que peut provoquer un éloignement de sa personne, de sa loi. Nous avons déjà eu l’occasion de l’entendre ces derniers jours : nos choix, nos actes ont des conséquences, sur nous et sur les autres. Faire le choix d’une vie matérialiste, ce n’est pas sans conséquences. Nous risquons d’être entrainés dans un cercle vicieux qui nous fera tomber toujours plus bas et qui entrainera d’autres avec nous dans cette dégringolade. Par contre, faire le choix d’une vie fondée sur l’amour nous entrainera dans un cercle vertueux qui nous permettra d’expérimenter tous les jours les bienfaits de ce choix. Oh, ça ne veut pas dire que tout sera facile pour nous. Ça n’a pas été facile pour Jésus qui a pourtant fait le choix d’un amour absolu, mais ce choix est fécond. Voilà comment j’entends ces paroles de Jérémie.

Et nous en avons une brillante illustration dans l’Evangile avec cette parabole bien connue du riche et de Lazare. Les choix de ce riche ont des conséquences dramatiques qui nous sont bien racontées. Il a fini par mourir, peut-être de ses excès et il a sûrement une part de responsabilité dans la mort de Lazare dont il n’a jamais vu les problèmes de santé et de pauvreté, tellement il était enfermé dans son monde de consommation avec les autres privilégiés qu’il côtoyait.

Pourtant, si je devais donner un titre à cette parabole, je ne donnerai pas le titre souvent utilisé : Lazare et le mauvais riche. Je donnerai plutôt : Dieu et le pauvre Lazare. Les commentateurs font souvent remarquer que le riche n’a pas de nom, c’est vrai, mais ce n’est pas étonnant du tout. En effet, dans les paraboles de Jésus, les personnages n’ont jamais de nom. Il y a une seule exception et c’est précisément dans cette parabole. Il n’est donc pas étonnant que le riche n’ait pas de nom, par contre, il est très étonnant que le pauvre ait un nom et quel nom, Lazare ! Quand je vous aurai donné la signification de ce nom, vous comprendrez à quel point c’est étonnant. Je maintiens le suspens car pour comprendre le côté inouï de ce nom, il est bon de se rappeler qu’à cette époque, une idée était fermement ancrée dans la tête des gens : la richesse et la santé sont les signes de la bénédiction de Dieu et, à l’inverse, la pauvreté et la maladie étaient des signes de la malédiction de Dieu. 

Ce pauvre Lazare, j’oserais dire qu’il cumulait les handicaps : il était pauvre et en plus très malade, souffrant d’une terrible maladie de peau. A cause de son corps recouvert d’ulcères, les gens le regardaient avec autant de dégoût qu’ils regardaient les lépreux. Ses seuls compagnons étaient des chiens et vous savez, à l’époque, les chiens n’étaient pas des gentils toutous qu’on amenait au toilettage ! C’étaient plutôt des chiens errants assez peu sympathiques, mais la pauvre Lazare n’avait même plus la force de les repousser ! Maintenant, je peux mettre fin au suspense en vous donnant la signification du nom de Lazare ! Dans la langue de Jésus, Lazare signifie : Dieu aide ! 

Quand les auditeurs de la parabole ont entendu ce nom, ils ont sûrement eu du mal à en croire leurs oreilles ! Vous avez bien compris que ce nom, Jésus l’a choisi tout spécialement. D’habitude, il ne donne jamais de noms aux personnages de ses paraboles, là, il a voulu un nom pour cet homme pauvre, ça signifie donc que ce nom, il ne l’a pas choisi au hasard. 

En lui donnant ce nom et surtout en racontant la suite de l’histoire, Jésus a voulu montrer qu’elle est absolument scandaleuse cette idée si répandue qui affirme que Dieu bénit ceux qui sont riches et en bonne santé et qu’à l’inverse, il maudit les pauvres et les malades. On ne peut pas dire non plus que c’est l’inverse car Dieu ne maudit personne. Mais il est clair que ce pauvre, il ne peut être maudit puisqu’il s’appelle Lazare et qu’à sa mort, Dieu déroule le tapis rouge pour l’accueillir. S’il avait été maudit il aurait aussi été maudit dans l’éternité.

Vous pourriez me dire : d’accord, tout cela est très beau mais quand même le sort réservé au riche est terrible. Si Dieu ne maudit personne, pourquoi réserve-t-il un tel sort à cet homme ? Pour répondre à cette question, je dirai que les paraboles sont des histoires bien particulières. Quand on fait des études de Bible, on reste un certain temps sur les paraboles pour apprendre à les interpréter correctement. On utilise souvent la comparaison avec les fables qui se terminent toujours par une leçon et, dans la fable, c’est la leçon qui est importante à retenir, pas les détails de la fable. Pour les paraboles, c’est pareil ! La leçon, on l’appelle la pointe de la parabole et tous les détails sont au service de cette pointe, il ne faut donc pas forcément trop s’étendre sur les détails. Le sort terrible réservé au riche dans l’au-delà, il n’est là que pour mieux faire ressortir le bonheur dont Dieu est en train de combler Lazare. Si vous voulez, c’est un tableau en noir et blanc, comme dans la 1° lecture. Le noir de la situation du riche n’est là que pour mieux faire ressortir le blanc lumineux de la situation de Lazare qui prouve qu’il n’est pas maudit. 

D’ailleurs, il y a trois indices qui montrent que si Dieu bénit Lazare, il ne maudit pas le riche. D’abord, Abraham continue à l’appeler mon fils. Ensuite, s’il souffre, ce n’est pas Dieu qui le fait souffrir, c’est lui qui souffre de réaliser tout ce qu’il n’a pas fait pour Lazare. Pour lui, comme pour nous, les plus gros péchés sont des péchés d’omission.  Enfin, il y a le terme qui est utilisé pour désigner le lieu de tortures dans lequel gémit le riche. A cette époque de Jésus, il y avait deux mots pour désigner le séjour des morts, l’un qui évoquait le séjour définitif, la géhenne et l’autre un lieu dans lequel on arrivait à notre mort, l’hadès. La traduction liturgique qui parlait du « séjour des morts » ne nous permettait pas de l’entendre, mais dans le texte grec, c’est bien le terme hadès qui est utilisé. Cela signifie que, malgré tous les détails assez inquiétants, le sort définitif du riche n’est encore pas scellé. Et comment pourrait-il en être autrement puisque le nom de Dieu est miséricorde.

Mais le riche a encore du chemin à faire. Est-ce que vous l’avez entendu prononcer la moindre demande de pardon pour sa conduite si égoïste ? Rien, pas un mot ! Il est encore centré sur lui, sur cet inconfort qu’il est en train de vivre pour la 1° fois de sa vie. Et quand il pense aux autres, c’est juste à sa fratrie ! Et puis il n’a toujours pas perdu ses sales habitudes de riche ! Il avait l’habitude de commander et tout le monde lui obéissait …eh bien, il continue de commander dans l’au-delà et veut se servir de Lazare comme d’un boy qui pourrait adoucir ses souffrances en lui rafraichissant les lèvres. Rien, dans cette attitude ne laisse voir la moindre prise de conscience qui pourrait témoigner d’un début de conversion chez lui, pas le moindre regret pour son attitude mauvaise et les souffrances infligées à Lazare à cause de son égoïsme à lui, pas la moindre expression d’une lucidité qui lui ferait dire qu’il est misérable.

Ce séjour des morts, pour cet homme, il ressemble à ce qu’on appelle le purgatoire. Non pas un lieu de punition, mais un lieu pour faire le chemin qu’on aurait dû faire sur terre et qu’on n’a pas fait. Ce temps donné est la 1° expression de la miséricorde de Dieu. Ce n’est pas Dieu qui ne serait pas prêt à la donner plus vite, c’est l’homme qui n’est pas prêt à la recevoir. En effet, la miséricorde ne peut venir que là où la misère est reconnue, regrettée et offerte. C’est bien pour cela que le temps du carême nous est donné chaque année, pour que nous puissions reconnaître, regretter et offrir notre misère à sa miséricorde. Ne gaspillons pas ce temps !

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