29 octobre : samedi 30° semaine ordinaire. Leçon de correction fraternelle avec le curé de Manon des Sources !

L’Evangile que nous venons d’entendre est tout à fait dans le prolongement de ce que je disais avant-hier à propos des relations entre Jésus et les pharisiens. Nous voyons Jésus qui est invité dans la maison d’un chef des pharisiens. Ils ne sont pas tous contre lui puisqu’ils l’invitent à manger ! Certes, en l’invitant, en discutant avec lui, certains espèrent parfois le déstabiliser. Mais s’ils l’invitent, c’est qu’ils ont une certaine estime pour lui, vous n’invitez pas à manger votre pire ennemi ! D’autant plus que cette invitation a lieu un jour de sabbat, or le sabbat, c’est un jour sacré, un jour privilégié que l’on passe en famille, avec les amis pour remettre Dieu au centre de notre vie pour la semaine qui va commencer. Que Jésus soit invité un jour de sabbat chez un chef des pharisiens, c’est bien la confirmation d’une certaine proximité.

Et on a un autre indice de cette proximité par l’attitude de Jésus. En effet, ce récit nous donne, grandeur mature, un cours de correction fraternelle effectué par Jésus à l’égard des pharisiens. De fait, la correction fraternelle, on ne la met en œuvre qu’avec ceux qu’on aime ; si on est indifférent, on ne va pas s’embêter parce que, c’est vrai qu’en la pratiquant, on prend toujours un risque, il y a parfois des retours de manivelle qui peuvent être douloureux. Pourquoi je parle de correction fraternelle ? Eh bien, parce que Jésus a vu l’attitude des pharisiens présents à ce repas, il les a vus jouer des coudes pour parvenir aux meilleures places. Jésus a vu ce qui n’allait pas et il ne reste pas muet, précisément parce qu’il veut les aider à s’amander pour qu’ils deviennent meilleurs, pour qu’ils ne se laissent pas dominer par leurs petits côtés si déplaisants qui gâchent leurs véritables qualités et qui les empêchent de devenir témoins de ce Dieu qui leur a brûlé le cœur au point qu’ils ont l’impression de ne jamais en avoir assez fait pour lui.

Alors, comment Jésus s’y prend pour accomplir cette correction fraternelle ? Il va raconter une parabole. Étymologiquement, le mot parabole vient du grec para-balô qui signifie « ce qui est jeté le long de » c’est-à-dire qu’une parabole, c’est exactement le contraire d’une vérité qu’on jette à la face de quelqu’un pour l’humilier. Et c’est pour cela que Jésus aime les paraboles car elles lui permettent de dire des vérités très importantes mais sans jamais blesser. Il raconte une histoire et ensuite, c’est à chacun, dans le secret de sa conscience de se demander : comment cette histoire me rejoint ? Qu’est-ce qu’elle vient questionner dans mon attitude ? Que de dégâts nous pouvons causer en nous balançant des vérités en pleine face ! Je ne dis pas qu’il faudrait que nous racontions des paraboles à longueur de journée, mais nous pourrions demander la grâce d’apprendre à nous parler en vérité sans nous blesser. Pour cela, nous pouvons demander au St Esprit qu’il nous inspire le bon moment et les bonnes paroles pour dire, avec un cœur débordant d’amour, la vérité qu’il serait bon que l’autre entende pour l’aider à s’amender. Comme Jésus, ne fermons jamais les yeux en pensant : c’est sa vie, ce n’est pas mon affaire ! Non, ça, ce n’est pas chrétien. 

Pour nous persuader qu’une telle attitude n’est pas chrétienne, comme c’est la fin de la retraite et qu’il faut commencer à se détendre, permettez-moi de vous citer un sermon écrit par Marcel Pagnol. Je regrette de pas avoir l’accent marseillais pour vous le raconter ! C’est le fameux sermon du curé dans Manon des Sources. Hélas, dans le film, ils l’ont amputé de l’essentiel, mais on le trouve sur internet et dans le livre ! Dans ce sermon-fleuve, le curé réfléchit de manière truculente sur les causes du manque d’eau dans le village, il en profite pour régler un certain nombre de comptes avec ses paroissiens, c’est pas parabolique, c’est plutôt frontal, mais c’est tellement beau ! Je lis :

Mon prédécesseur, le bon abbé Signole, m’a raconté l’épouvantable affaire de la Bastide-Fendue, que je veux vous rappeler aujourd’hui. Un beau jour, il est venu de la ville un agent immobilier. Il avait acheté une ruine au pied de la montée. On l’appelait la Bastide-Fendue, parce qu’il y avait des crevasses dans les murs, suffisamment grandes pour passer le bras. Il y a mis un toit, il a bouché les crevasses avec du plâtre et il a fait un joli crépi par-dessus. Un retraité de la ville l’a achetée, bien cher, et l’a appelée villa Monplaisir. L’abbé Signole arrivait ici, – il n’était pas au courant, n’est-ce pas, – et il se demandait pourquoi, lorsqu’on parlait de la villa Monplaisir, tout le monde riait, et surtout les maçons. 

Un beau jour, le retraité, qui avait la folie des grandeurs, a imaginé de prendre des bains. Il a acheté une pompe pour la citerne, des tuyaux, une baignoire, et il a voulu faire installer une grande caisse à eau dans le grenier. Les maçons y sont allés, en rigolant plus que jamais. Ils ont installé la caisse à eau, un bac en ciment qui contenait plus de mille litres d’eau, et ils ont dit au retraité qu’il fallait que ça sèche, et qu’ils ne conseillaient pas de remplir ce bac avant le surlendemain, à quatre heures de l’après-midi.

Ce jour-là, tout le village était descendu sur la route, et ils regardaient la villa Monplaisir comme s’ils étaient au cirque. Le retraité avait déjà mis la pompe en marche, et il fumait sa pipe à la fenêtre du premier étage, avec un air de se demander ce que tous ces gens lui voulaient. Il ne l’a jamais su, parce que, à quatre heures et demie, Monplaisir lui est tombée sur la tête, et on l’a enterré le lendemain. Vous êtes Tous responsables de la mort de ce brave homme ! … Je sais bien que je vous étonne, et vous êtes en train de vous dire : « Mais ce n’est pas moi qui ai fait cette cuve ! Ce n’est pas moi qui ai touché de l’argent ! Moi, je ne m’occupe pas des affaires des autres : par conséquent, on n’a rien à me reprocher ! » Eh bien ! détrompez-vous ! Les affaires des autres, il faut s’en occuper pour les aider, et ça s’appelle la charité chrétienne. Car voyez-vous, pour être aimé de Dieu, il ne suffit pas de ne pas faire le mal ; la vertu, ce n’est pas de se taire, de fermer les yeux, de ne pas bouger. La vertu c’est d’agir, c’est de faire le Bien. 

Je crois vraiment que dans ces paroles, nous avons la définition même de la correction fraternelle que Jésus nous invite fortement à pratiquer, notamment dans le chapitre 18 de l’Evangile de Matthieu. Je relis la fin de l’extrait que j’ai cité : Il ne suffit pas de ne pas faire le mal ; la vertu, ce n’est pas de se taire, de fermer les yeux, de ne pas bouger. La vertu c’est d’agir, c’est de faire le Bien. Parce qu’il ne voulait pas que les pharisiens se perdent, Jésus n’a pas fermé les yeux, il n’a pas lâchement orienté la conversation sur un sujet consensuel, il est intervenu. Et ça lui paraissait d’autant plus important de faire cette correction que ce qu’il venait de voir lui semblait très grave.

En effet, il faut bien nous rappeler que c’est un jour de sabbat que tout cela s’est passé. Or, je l’ai dit, le sabbat, chez les juifs, c’est ce jour très particulier où l’on ne fait rien, non pas pour penser à soi, ni même d’abord pour se reposer parce qu’on l’a bien mérité. Non ! Le jour du sabbat est consacré à Dieu, on ne fait rien pour laisser à Dieu toute la place qui lui revient dans notre vie ; ce jour est pour Lui, ce jour, il retrouve la première place dans notre vie. Le sabbat, c’est donc ce jour dans lequel, on essaie de remettre tout à sa vraie place dans notre vie. C’était donc un jour de sabbat que Jésus voyait les gens se battre pour avoir la première place, alors vous comprenez que ça le chagrine vraiment. Le sabbat doit permettre aux hommes de redonner à Dieu la première place et voilà que les pharisiens, qui, en rappelant à temps et à contre-temps les exigences de la Loi, veulent redonner à Dieu sa vraie place, se mettent à jouer des coudes pour occuper cette première place ! Avouez qu’il y a quelque chose de choquant !

Dans cette parabole, Jésus ne donne pas une leçon de savoir-vivre en expliquant comment il fauit se placer quand on est invité, il veut remettre chacun à sa juste place pour redonner à Dieu la seule place qu’il mérite, la première. Nous n’avons donc pas à nous battre pour chercher la 1° place, car cette place, il n’y en a qu’un qui peut l’occuper, c’est le Seigneur. C’est exactement ce qui est dit dans le Magnificat : il renverse les puissants de leurs trônes, ça signifie que, sur le trône, il ne peut y en avoir qu’un, Dieu, et quand les hommes prennent la place de Dieu, on peut craindre le pire. Du coup, la suite du Magnificat, explique qu’il élève les humbles, et s’il les élève, ce n’est pas pour les mettre à la place de ceux qu’il vient de déloger, mais pour leur donner une vraie place. C’est ce que dit la fin de la parabole : quiconque s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. Voilà un beau message au moment où vous vous apprêtez à quitter la retraite : Si vous voulez que les grâces reçues à cette retraite portent du fruit et un fruit qui demeurent, gardez au Seigneur la 1° place dans votre vie. Fuyez la tentation de vous remettre la 1° place dans vos préoccupations et ne donnez à personne d’autre qu’au Seigneur la 1° place. Alors, vous le verrez tout et tout le monde, dans votre vie, trouvera sa juste place et votre vie sera tellement plus harmonieuse.

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