Une lecture un peu rapide des textes d’aujourd’hui pourrait nous laisser croire qu’ils se contredisent que, pour une fois, la lecture du Premier Testament serait plus cool que l’Evangile. En effet, la 1° lecture parlait de choisir la vie et l’Evangile de renoncement, de croix. Evidemment, il n’en est rien ! Elles se complètent merveilleusement bien et elles nous ouvrent de belles perspectives pour ce carême qui ne fait que commencer.
De manière habituelle, dans le temps du carême, nous prenons des résolutions et ces résolutions nous amènent à vivre un certain nombre de renoncements pour honorer la dimension de l’ascèse inhérente au carême. Et c’est vrai que, même lorsque nous décidons de rajouter, en fait, il y a toujours une dimension de renoncement. On s’en rend bien compte quand on reprend les 3 piliers du carême que sont la prière, le jeune et le partage. Rajouter plus de prière, c’est renoncer à un temps de loisirs, à du temps passé sur les écrans. Rajouter quelques privations, c’est renoncer à du plaisir immédiat. Rajouter plus de partage, c’est renoncer à garder, à profiter. Mais peut-être que dans le passé, quand on insistait sur cette dimension de privation, c’était avec un aspect un peu négatif. On parle d’ailleurs de mortification, expérience qui conduit d’une manière ou d’une autre à expérimenter la souffrance qui était censée nous conduire plus vite au Salut. Du coup, on comprend que, dans ces perspectives, les gens voyaient arriver le carême avec appréhension et que quand ils y étaient, ils comptaient les jours qui restaient, plus que 38 !
Entendre, aujourd’hui, ces deux lectures en simultanée, c’est accueillir une belle occasion qui nous est donnée de donner du sens, un autre sens, à ces privations. C’est un peu comme si la Parole de Dieu nous lançait aujourd’hui une invitation solennelle : si tu t’engages sur le chemin du renoncement, c’est pour plus de vie, autrement ça ne sert à rien. J’espère que nul d’entre nous n’envisage encore le carême comme un championnat de mortification. D’ailleurs si le carême était un championnat de mortification, il aurait un effet inverse de ce pour quoi il est fait puisqu’il renforcerait l’orgueil de ceux qui se mettent des objectifs très élevés et qui cherchent à ce que tout le monde puisse bien voir tous les efforts qu’ils font pour les atteindre. Et, en plus, il nous rendrait tous un peu plus imbuvables car le renoncement, la frustration risquent toujours de nous aigrir.
Non, il nous faut vraiment accueillir avec reconnaissance le message des lectures d’aujourd’hui : si tu t’engages sur le chemin du renoncement, c’est pour plus de vie, autrement ça ne sert à rien. Tous nos renoncements doivent donc nous conduire à choisir la vie, à mieux accueillir la vie que le Seigneur ne cesse de nous offrir et aussi à donner la vie de manière plus généreuse autour de nous. Cela signifie donc que pour trouver les résolutions que nous voulons prendre, les efforts que nous voulons mettre en œuvre, il nous faut demander la lumière du Saint-Esprit. Qu’il nous aide à discerner toujours plus clairement les domaines dans lesquels, en nous, il n’y a pas assez de vie, les domaines dans lesquels nous laissons la vie s’étioler, les domaines dans lesquels nous ne sommes pas assez généreux pour aider les autres à devenir plus vivants.
Et quand nous aurons discerné, c’est là qu’il nous faudra réagir si nous voulons vivre un carême fécond. Il n’est donc pas sûr que la suppression du chocolat soit absolument l’objectf n°1 et le plus fécond ! Si tu t’engages sur le chemin du renoncement, c’est pour plus de vie, autrement ça ne sert à rien.
C’est d’ailleurs exactement le sens des paroles de Jésus. Quand Jésus nous invite à renoncer à nous-mêmes, il ne nous invite pas à la mortification juste pour nous faire mal comme si c’était ce qui fait souffrir qui sauve ! Non, il nous invite à renoncer à ce qui, devenu trop envahissant dans nos vies, nous empêche de vivre. Un peu comme ces herbes envahissantes qui étouffent tout dans le carré où elles se développent. Ceux qui sont victimes d’addictions, quelles que soient ces addictions savent que cet envahissement est mortifère. Ce qui pousse à renoncer, ce n’est donc pas le désir de souffrir, mais c’est au contraire le désir de vivre, c’est l’impérieuse nécessité de choisir la vie pour ne pas devenir des morts-vivants.
Pour y parvenir, il faudra un effort de notre volonté. Bien sûr, il faudra aussi la grâce, mais la grâce ne remplacera jamais l’impulsion initiale de notre volonté. J’aime bien cette expression de St Paul qui dit que l’Esprit-Saint se joint à notre esprit. (Rm 8,16) Paul ne dit pas que l’Esprit-Saint va tout faire à notre place, il se joint à nous pour décupler nos forces. Il en va de même avec notre volonté, l’Esprit-Saint est capable de décupler la puissance de notre volonté, mais si notre volonté est nulle, 10 fois 0, ça fait encore zéro, et il ne se passera rien !
Pour choisir la vie, Jésus continue en disant que non seulement, il nous faut renoncer, renoncer à nous-mêmes, mais en plus, il faut prendre sa croix. Pour Jésus, il est donc clair que prendre sa croix, c’est encore et toujours choisir la vie. Mais qu’est-ce que ça veut dire « prendre sa croix » ? Il ne s’agit pas de chercher comment rajouter des souffrances supplémentaires dans notre vie. La vie se chargent de nous en donner suffisamment qu’il s’agisse de souffrances morales, de souffrances physiques ou même spirituelles. Quand nous traversons des moments où il n’y en a pas trop, bénissons le Seigneur au lieu de chercher à en rajouter ! Quand les souffrances sont là, prendre sa croix, c’est décider de vivre ces souffrances dans l’amour. Avant on aimait parler d’offrir ses souffrances et Marthe en parlait souvent. Mais en fait, il serait sans doute plus juste et plus fécond, surtout pour notre mentalité moderne, de dire que prendre sa croix, c’est choisir de vivre ces souffrances dans l’amour. Et c’est d’ailleurs bien ce que Marthe a fait.
La croix n’est pas arrivée dans la vie de Jésus parce qu’il aurait décidé de souffrir beaucoup pour sauver les hommes, la croix, elle est arrivée parce qu’il a décidé d’aimer dans une fidélité absolue Dieu, son Père et tous ses frères les hommes, quel que soit le prix à payer. Prendre notre croix, ça sera donc, pour nous aussi, à la manière de la petite Thérèse, faire le choix, quelles que soient les circonstances, de remplir chaque instant de nos vies du maximum d’amour, de remplir chaque relation du maximum d’amour. Pour prendre sa croix, il n’y a donc pas besoin de rajouter de la souffrance. Décider de remplir chaque instant, chaque relation du maximum d’amour, ça suffit amplement et ça nous amènera d’ailleurs à poser des choix crucifiants.
Même si ça n’a rien d’évident au départ, même si le monde a de la difficulté à le comprendre, la croix est intrinsèquement liée à la vie. Le carême n’a pas comme objectif de nous conduire au Golgotha, mais au matin de Pâques. A travers ses paroles, c’est comme si Jésus nous prévenait : nous serons toujours déçus par tous nos petits arrangements qui nous empêchent de poser des choix clairs. « Celui qui veut préserver sa vie, celui qui veut vivre tranquillement dans son petit cocon, finira par perdre sa vie. » Le chemin qui mène à plus de vie est le chemin qui passe par plus d’amour. Et c’est bien ce chemin que Jésus a accepté de prendre avant nous, pour nous. Choisis donc la vie, pour que vous viviez, toi et ta descendance, en aimant le Seigneur ton Dieu, en écoutant sa voix, en vous attachant à lui ; c’est là que se trouve ta vie, une longue vie.