La liturgie nous joue parfois quelques tours, ce texte d’Evangile que nous venons d’entendre, nous l’avons déjà accueilli le jour de Noël … heureusement que ce prologue est d’une grande densité théologique et qu’il offre donc de multiples portes d’entrée ! Quand St Jean veut rendre compte du mystère de l’Incarnation, il ne raconte pas, comme Luc, l’histoire de la naissance du Sauveur. Pour lui, tout est dit et résumé en une affirmation : « Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. » Certains pourraient regretter qu’il n’y ait pas d’histoire racontée en pensant légitimement que les histoires sont souvent plus précieuses que les grandes définitions abstraites pour comprendre. Oui, c’est vrai, mais s’il n’y a pas d’histoire, il y a quand même une très belle image qui, hélas, ne se remarque pas en français puisqu’il est dit qu’il a « habité parmi nous. » En grec, le verbe qui est utilisé donne une image vraiment plus suggestive, si on voulait traduire littéralement le grec, la langue dans laquelle ont été écrits les évangiles, il faudrait dire : « il a planté sa tente parmi nous ! » Il a planté sa tente parmi nous, quelle belle image !
Cette expression fait allusion à la manière dont Dieu a choisi d’habiter au milieu de son peuple durant le temps de la traversée du désert. Rappelez-vous, Dieu a libéré son peuple de l’esclavage des Egyptiens en leur permettant de traverser miraculeusement la Mer Rouge. Merveilleux coup d’éclat de Dieu. Oui, mais voilà, ce coup d’éclat marque aussi le début de nouveaux problèmes, eux aussi très compliqués. Comment vivre dans ce désert où il n’y a rien à manger ? Comment ne pas mourir dans ce désert infesté de serpents et de bêtes sauvages ? Et surtout, comment sortir de ce désert où il n’y a ni route, ni points de repères ? Il aurait été criminel de la part de Dieu de faire sortir son peuple d’Egypte et, ensuite, de l’abandonner dans le désert. Alors, Dieu a expliqué à Moïse qu’il allait, lui-même, habiter au milieu de son peuple et qu’il serait logé, comme tout le monde, c’est-à-dire sous la tente ! Dieu habitait ce qu’on appelait la tente de la Rencontre qui contenait la fameuse Arche d’Alliance. Je ne peux pas plus développer, mais retenons cela : pour accompagner son peuple dans sa traversée du désert, Dieu a choisi de planter sa tente parmi eux.
Ainsi donc, vous comprenez que lorsque St Jean, pour résumer le Mystère de l’Incarnation, dit : « Le Verbe s’est fait chair et il a planté sa tente parmi nous. » Il exprime une réalité extrêmement profonde que nous pouvons un peu mieux comprendre après les explications que je viens de donner. Je développe quelques points qui découlent de cette compréhension.
- Tout d’abord, ça signifie qu’avec Jésus qui est né, c’est Dieu lui-même qui est venu parmi les siens. L’histoire de l’Emmanuel avait commencé depuis bien longtemps mais, avec la naissance de Jésus, elle prend désormais une force, une portée, une réalité étonnante. Jésus n’est pas un simple envoyé de Dieu, Jésus n’est pas seulement un grand prophète prononçant des paroles qui font choc. Non ! Avec Jésus, c’est Dieu, lui-même, qui vient habiter parmi les hommes parce que Jésus est vraiment le Fils de Dieu. Jésus qui vient au monde, qui plante sa tente parmi les hommes, c’est un remake de l’Exode, mais puissance 100. Pour nous, par sa présence, il va donc se passer ce qui se passait quand Dieu habitait parmi son peuple au cours de la longue traversée du désert. Nous ne sommes plus comme des brebis sans berger qui ne savent plus où aller et qui finissent par se perdre. Nous ne serons plus une proie facile pour l’esprit du mal qui tel un lion qui rugit va et vient en espérant nous anéantir.
- Dieu avait tenu à planter sa tente parmi les hommes pour être toujours au milieu d’eux parce qu’il savait que la traversée du désert est une aventure trop éprouvante pour laisser les hommes seuls. Eh bien, en plantant sa tente parmi les hommes, Jésus nous dit : je sais que vous traversez, vous aussi, des déserts bien éprouvants, alors je suis là au milieu de vous, puisque j’ai planté ma tente parmi nous, je serai pour toujours avec vous, avançant à votre rythme, m’arrêtant avec vous quand vous n’en pourrez plus. Oui, je serai pour toujours au milieu de vous, Je serai pour toujours Dieu-avec-vous pour que vous ne soyez plus jamais seuls dans ces déserts trop longs et trop éprouvants que vous devez traverser.
C’est vraiment très beau de découvrir que Dieu a toujours voulu habiter au milieu de son peuple et qu’il a voulu habiter de manière très simple, en étant logé comme les autres sous la tente. On pourrait presque dire que Dieu va garder la nostalgie de cette période où il faisait du camping. Quand le roi David lui fera part de son désir de construire un Temple, nous avons lu ce texte la semaine dernière, Dieu ne sera pas du tout enchanté, c’est le moins qu’on puisse dire. C’est vraiment à regret que Dieu va accepter de se sédentariser, il préférait la tente ! Parce que Dieu avait flairé le problème, il avait compris que le Temple était un cadeau empoisonné. C’est un peu comme si les hommes lui disaient : chacun chez soi, quand on veut te voir, on va au Temple, pour le reste, nous, nous sommes chez nous et toi, tu restes chez toi ! Et ça, Dieu ne l’aime pas : chacun chez soi, ça ne sera jamais sa devise ! Pourtant Dieu a bien été obligé d’accepter mais, plus rien ne sera comme avant ! Dieu gardera toujours cette nostalgie de son logement sous la tente qui lui permettait d’être au milieu de son peuple. D’ailleurs, dès que son peuple est parti en Exil à Babylone, le prophète Ezéchiel voit la gloire de Dieu qui quitte le Temple pour rejoindre les exilés. Dieu ne voyait pas comment rester loin de ceux qui allaient vivre cette terrible épreuve de la Déportation qui deviendrait comme un désert à traverser, alors, il part les rejoindre, parce qu’il est Emmanuel.
A l’accomplissement des temps, Dieu envoya Dieu son Fils parmi les hommes pour sauver les hommes. Mais avant de l’envoyer, c’est comme s’il lui avait dit : Mon Fils, fais attention, ne te laisse pas avoir, ne te laisse pas enfermer, reste mobile, choisis la tente ! Et voilà pourquoi Saint Jean, le théologien, le mystique, pour résumer le mystère de l’Incarnation, écrit cette phrase si étonnante : « Le Verbe s’est fait chair, il a planté sa tente parmi nous » ! Et j’aime bien dire que lorsque Dieu a planté sa tente parmi les hommes, il n’a pas décidé de faire de camping à la manière de la famille Pic dans le film « camping » que vous avez sûrement vu ! Les Pic, ils vont toutes années dans le même camping et, toutes les années, ils choisissent le même emplacement, le 17 !
Non ! Jésus n’a jamais accepté de se sédentariser, il a vécu dans une très grande mobilité, ne dira-t-il pas un jour : « Le Fils de l’Homme n’a même pas une pierre où reposer sa tête ! » C’est une belle manière de dire que Jésus n’a pas vécu comme un sédentaire, il a planté sa tente parmi nous et ne s’est jamais entêté en prétendant ne se trouver bien que dans l’emplacement 17 ! Je n’ai encore pas trouvé d’études qui disent le nombre de kilomètres, à pied, que Jésus a parcouru au cours de son ministère, ça doit être assez impressionnant ! Rien d’étonnant à cela, son identité, c’est Emmanuel, Dieu avec nous, c’est sa mission, elle ne s’accorde donc pas avec la sédentarité. Jésus a passé les 3 années de son ministère public à sillonner le pays en long, en large et en travers, parce qu’il voulait aller partout où un homme était en train de traverser un désert afin qu’il ne soit pas seul dans cette épreuve. Tous ceux qui traversaient de grandes détresses ont pu accueillir à leurs côtés la présence de l’Emmanuel et ça ne gênait pas Jésus de faire des dizaines et des dizaines de kilomètres juste pour aller rejoindre une seule personne traversant un désert trop éprouvant !
Voilà le sens profond du mystère de l’Incarnation : « il a planté sa tente parmi nous » parce que, partout où des hommes auront des déserts à traverser, quels que soient ces déserts et quelles que soient les raisons pour lesquelles ils devront les traverser, Jésus cherchera à les rejoindre. Mais une question se pose et je terminerai en y répondant : comment Jésus pourra-t-il les rejoindre aujourd’hui ? La réponse est simple : grâce à vous, grâce à moi ! Il faut que nous soyons tellement pleins de la présence du Christ que ceux que nous rencontrons puissent découvrir que c’est Jésus lui-même qui s’approche d’eux à travers nous. Demandons aussi qu’il nous envoie des témoins de sa présence quand nous-mêmes nous traversons un désert. Je ne l’ai pas dit mais, en hébreu, le mot qu’on traduit par tente, on peut aussi le traduire par tabernacle. C’est pour cela que nous venons communier le plus régulièrement possible, c’est pour rester les tabernacles de sa présence, pour que, par nous, il puisse s’approcher de tous ceux qui traversent des déserts trop éprouvants.
Dans le tabernacle de nos églises, Jésus est confiné, il est bien obligé de l’accepter, mais dans le tabernacle de nos cœurs, alors là, il aime s’y retrouver, à condition que nous ne le laissions pas confinés dans l’emplacement 17 de notre cœur, mais que nous lui donnions la possibilité de nous visiter dans la totalité de notre être pour qu’il puisse accomplir sa mission de Sauveur en nous et, par nous, auprès de tous ceux que nous rencontrerons.
La tente que Dieu plante dans le désert et sujete aux conditions climatiques du lieu. Pour bien résister une tente doit être bien tendue, s’il y a flottement elle se déchir.
Ne peut on pas voir dans cette tension de cette tente les « divergences » au sein de l’église ? Et dans cette tension (diversité) c’est ce qui éviterait les flottements ?
Mais, si Dieu habite à l’intérieure de la tente, avec nous, que risquons nous ?
Soyons ces tentes (tabernacles), ces custodes.
Si jésus est là la maison tiendra!
Amen ! Heureuse de vous relire après quelque temps sans connexion… Mais qu’est-ce qu’il est bien le Seigneur dans la cellule de notre coeur !