8 juin : Pas d’homélie, mais …

A partir de ce lundi 8 juin et pour 15 jours, j’ai quitté la maison-école, c’était le lieu où j’ai passé tout le temps du confinement. Je suis à nouveau à la maison-Foyer, et là, nous sommes plusieurs prêtres, donc je ne prêche pas forcément tous les jours ! Aujourd’hui, je ne prêchais pas, mardi et mercredi je vais prêcher et mercredi ça sera le 36° anniversaire de mon ordination sacerdotale. Si l’occasion se présente, le jour où je ne prêche pas, à la place de l’homélie, il y aura un enseignement. C’est le cas aujourd’hui ! Puisque l’Evangile était celui des Béatitudes, je vous transmets l’enseignement que je donnais quand j’accompagnais des pèlerins en Terre Sainte sur le Mont des Béatitudes !

Au Mont des Béatitudes : Evangile selon St. Matthieu au chapitre 5

Jusqu’à maintenant quand vous entendiez ce texte disant que Jésus gravit la montagne, vous imaginiez peut-être qu’il commençait une longue ascension, peut-être pas avec les piolets, mais sur une vraie montagne. Et quand on est sur la montagne, on se demande si St. Matthieu qui a écrit cet évangile des Béatitudes ne serait pas un peu Marseillais ! Il ne faut quand même pas pousser, appeler montagne ce petit mont, c’est quand même très exagéré !

Oui, mais il y a une raison parce qu’en fait Matthieu est juif, mais en plus parmi les évangélistes, c’est lui qui va écrire pour des juifs, pour des juifs devenus chrétiens, pour des juifs qui ont envie de devenir chrétiens. Alors, quand on veut expliquer l’Évangile de Matthieu, on a intérêt à bien connaître l’Ancien Testament et les coutumes du judaïsme. 

Cette histoire de montagne alors qu’il s’agit d’une colline doit donc pouvoir s’expliquer en faisant référence à l’Ancien Testament. D’autant plus que vous avez remarqué qu’il ne donne pas le nom. Il dit LA montagne, sous-entendu, vous voyez tous de quelle montagne je veux parler. Évidemment, que tous ses auditeurs savent de quelle montagne il s’agit quand on dit la montagne sans préciser son nom. C’est comme au Québec quand on dit LE fleuve, il n’y a pas besoin de dire son nom, c’est le St Laurent ! Eh bien, vous l’avez compris, LA montagne, c’est le Sinaï bien sûr. 

Mais vous allez me dire, ça ne s’est pas passé au Sinaï puisqu’on est sur le lieu où ça s’est passé. Oui, vous avez raison, mais Matthieu a raison aussi ! Parce qu’en fait tout son évangile va être construit, écrit de manière à montrer et je dirais même à démontrer que Jésus est le nouveau Moïse. 

Quelques indices :

– Je viens d’en donner un avec cette histoire de montagne, Jésus sur la montagne évoque Moïse sur le Sinaï.

– Dans l’Evangile de Matthieu, Jésus prononce 5 grands discours, ça évoque les 5 livres qui composent la Torah.

– Il y aura 10 miracles comme autant de Paroles de vie en action.

Vous pourriez encore me dire, c’est sûrement beau, mais qu’est-ce que ça peut nous faire, en quoi c’est important pour notre foi de savoir que Jésus est le nouveau Moïse ? 

Eh bien, c’est important au moins pour 3 raisons

. Moïse est considéré par les juifs comme le libérateur du peuple, 

. Il est celui qui a transmis de la part de Dieu la Loi de vie

. Et enfin, il est celui qui a conduit le Peuple en Terre Promise. 

Puisque Matthieu écrit pour des juifs attirés par Jésus, c’est une bonne stratégie de présenter Jésus comme le nouveau Moïse, car Moise est le personnage religieux le plus important de tout l’A.T. pour les juifs.

Matthieu va donc montrer comment, en fait, c’est Jésus qui est venu réaliser ce que Moïse n’avait fait qu’esquisser. Il va montrer Jésus qui libère et c’est le sens des nombreux exorcismes. Il va montrer Jésus qui donne une loi nouvelle à travers les 5 discours qu’il prononce et surtout à travers cette proclamation des béatitudes, je vais y revenir. Et enfin, il va montrer comment Jésus est bien Celui qui nous conduit à la véritable Terre Promise qui est le Royaume de Dieu. Voilà, vous avez de manière très résumée toutes les clés pour lire et mieux comprendre l’Evangile de Matthieu. 

Et même si nous ne sommes pas juifs, cette présentation de Jésus, ça nous intéresse (comme dirait Oliver !) au plus haut point.

–  Jésus libérateur, ça ne vous fait pas envie de l’accueillir dans vos vies pour qu’il vienne vous libérer de quelques chaînes, de quelques servitudes, de quelques situations impossibles ?

– Jésus qui donne une loi nouvelle, ça ne vous fait pas envie de l’accueillir dans votre vie parce que la loi contrainte qui nous brime sans arrêt, ras-le-bol, la religion des interdits, on en a soupé. Mais je vais y revenir.

– Jésus qui conduit à la véritable Terre Promise, ça ne vous fait pas envie de l’accueillir dans vote vie, parce que si tout doit finir définitivement dans un trou avec trois mètres de terre sur nous, pas joyeux la vie !

Je vais dire juste un mot sur chacune des béatitudes, mais avant de commencer ce commentaire, je voudrais nous mettre en garde contre une mauvaise lecture possible dans laquelle on tombe souvent. Chaque béatitude est composée de la même manière : une déclaration de bonheur pour une catégorie de personnes et une justification de ce bonheur. Autrement dit, Jésus ne dit pas heureux les pauvres comme si c’était le fait d’être pauvre qui rendait heureux, le motif du bonheur est toujours dans la 2ème partie de la béatitude. Ce qui rend heureux, c’est de posséder le Royaume, pas d’être pauvre, mais la condition pour posséder le Royaume, c’est d’être pauvre et Jésus précise, pauvre de cœur.

Je lis donc à la suite les 9 motifs de Bonheur :

1/ Recevoir le Royaume 

2/ Être consolé

3/ Posséder la terre

4/ Être rassasié

5/ Obtenir miséricorde

6/ Voir Dieu

7/ Être appelé fils de Dieu

8/ Recevoir le Royaume revient à nouveau

9/ Obtenir une grande récompense dans le Royaume 

Encore une précision avant de passer au commentaire : le mot heureux qui est utilisé ici n’évoque pas un état, mais plutôt un dynamisme, c’est pour cela que Chouraqui dans sa traduction n’a pas mis heureux, mais en marche ! Ça signifie concrètement que le bonheur ce n’est pas le bon vieux temps, le bonheur, il n’est pas derrière nous mais devant nous, alors, en marche ! Et c’est étonnant, mais ce mot de Bonheur, c’est le premier mot du live des psaumes. Les psaumes, ce sont ces prières qui permettent aux hommes de s’adresser à Dieu. Eh bien le premier mot, c’est heureux, signe que cette relation de l’homme avec Dieu, c’est ce qui le rend heureux. Jésus n’est pas venu pour nous apporter des soucis supplémentaires, il n’est pas venu pour faire rimer foi et Loi mais Foi et joie !

Commentaire de chaque béatitude 

1- Heureux les pauvres de cœur car le Royaume des cieux est à eux. On dit aussi, heureux les désencombrés, je crois que c’est une bonne explication.

2- Heureux les doux car ils posséderont la terre. Là, le mot doux est une assez mauvaise traduction du terme grec qui est utilisé. Le sens exact, c’est les dociles. Et aux dociles, la terre est promise. J’avais évoqué ça au désert, ils ont mis 40 ans pour traverser un petit désert. On a dit que c’était parce que leur éducation n’était pas terminée que ça a duré et c’est une bonne explication, mais il y en a une autre. Ils n’en faisaient qu’à leur tête, et quand on n’en fait qu’à sa tête, on finit par tourner en rond ! C’est bien ce qui est arrivé, ils n’ont pas eu la terre tout de suite parce qu’ils n’ont pas été dociles. Dans l’AT, le peuple est d’ailleurs souvent qualifié de peuple à la nuque raide, c’est précisément le contraire de docile. Le docile, c’est celui qui accepte de se laisser faire comme chez le kiné, celui qui a la nuque raide ne se laisse pas faire, il ne s’abandonne pas. Eh bien celui-là, en croyant être libre, il va, en fait, tourner en rond !

3- Heureux les affligés ou ceux qui pleurent car ils seront consolés. La consolation, c’est ce qu’est venu apporter Jésus et c’est pour cela qu’il s’est installé à Capharnaüm, le village de la consolation. Celui qui pleure, c’est celui qui n’a pas un cœur de pierre, avec eux, Dieu va faire des merveilles. Mais avec un cœur de pierre, un cœur insensible, il ne peut rien faire. Le cœur tordu ne fait pas peur à Dieu, un cœur tordu mais repentant, Dieu peut le consoler et je vois bien en prison que c’est vrai. Mais, face au cœur de pierre, Dieu est paralysé, il ne peut rien faire.

4- Heureux les affamés et assoiffés de justice, car ils seront rassasiés. Attention dans la Bible, la justice, ce n’est jamais la justice sociale. Quand on veut parler de la justice sociale, on emploie un autre mot : le droit. Les deux mots sont d’ailleurs souvent associés. Mais là, nous n’avons que le mot justice. Être juste dans la Bible, c’est être ajusté à Dieu. Alors Jésus dit : celui qui souhaite être ajusté à Dieu, alors, lui, il va être comblé, parce que Dieu n’attend que ça de pouvoir ajuster le cœur des hommes à son cœur.

5- Heureux les miséricordieux car ils obtiendront miséricorde. La miséricorde, on sait que ce mot désigne les entrailles d’une mère qui vibre à tout ce que vivent ses enfants. Toute la Bible dit que Dieu a des entrailles de miséricorde, j’aime cette expression qui dit que Dieu est un Père au cœur de mère ! Eh bien celui qui a un cœur comme Dieu, qui veut un cœur pour Dieu, bonheur pour lui ! Miséricorde = corde pour nous tirer de notre misère.

6- Heureux les cœurs purs car ils verront Dieu. La pureté, ce n’est pas à entendre au sens sexuel, mais au sens chimique. Un élément pur, c’est un élément dans lequel, il n’y a pas de mélange. Quand votre cœur n’est pas mélangé, pollué, vous voyez Dieu en toutes choses et en toutes personnes. À l’inverse quand votre cœur est partagé, pollué, vous voyez le mal partout !

7- Heureux les artisans de paix car ils seront appelés fils de Dieu. Le mot qui est utilisé, c’est le mot d’artisan, il évoque celui qui fabrique, mais en petite quantité. Pour être  heureux, il n’y a pas besoin d’attendre de recevoir le prix Nobel de la paix, nos petites fabrications, nos petits gestes, c’est ça qui nous conduit au Bonheur.

8 et 9 : ces deux Béatitudes concernent les persécutés au sens large ou plus précis. Là, c’est trop évident que ce qui rend heureux, ce n’est pas d’être persécuté, mais c’est d’avoir pu rester, par la grâce du Saint Esprit fidèle à Jésus.

Double conclusion !

1/ Il en manque une ! Il n’y a que 9 béatitudes, Matthieu qui veut présenter Jésus comme le nouveau Moïse à dû dormir un moment quand Jésus parlait, ce n’est pas possible que Jésus soit monté sur la montagne, ait fait toute cette mise en scène pour évoquer Moïse et qu’il n’ait dit que 9 paroles, il en fallait 10 pour faire le parallèle avec les 10 paroles de vie données à Moïse sur le Sinaï. Eh bien, je suis à peu près sûr que Matthieu n’a pas dormi, Jésus a bien dû prononcer uniquement 9 béatitudes comme pour mieux nous faire sentir que le Bonheur ne pourra jamais être complet sur cette terre. Le bonheur que nous cherchons et que nous vivons à certains moments reste un bonheur inachevé, c’est ce que suggère ces 9 béatitudes, il y a de l’inachevé dans ce discours et c’est fait exprès. La 10ème béatitude, nous la vivrons avec Dieu et elle sera éternelle. Mais est-ce que nous désirons ce Bonheur ? Est-ce que « être avec Dieu pour toujours », c’est ça pour nous le vrai Bonheur ?

2/ Je suis souvent énervé quand je lis des articles ou quand j’entends des homélies disant que les béatitudes sont un programme de vie. Non, je suis à peu près sûr que Jésus ne les a pas données pour qu’elles soient un programme de vie. Moïse sur la montagne a reçu la Loi, ca c’est un programme de vie. Mais ces 10 paroles de vie qui ont vite été complétées par un certain nombre de prescriptions, 613 exactement, 365 interdits et 248 obligations, si on a le temps, je vous expliquerai quel est le sens de tout ça. Mais vous sentez vite que tout cela devient vite extrêmement contraignant. 

Or, je vous l’ai dit, Jésus n’est pas venu pour faire rimer foi et loi. Donc en prononçant ce discours des béatitudes, il n’est pas venu changer l’ancien programme par un nouveau programme plus joyeux mais qui finira de toutes façons comme tous les programmes par être bien contraignant. Il est venu, comme dit St Jean pour que nous soyons dans la joie et que notre joie soit parfaite. C’est déjà pour cela que toutes les béatitudes commencent par : Heureux.Donc les béatitudes ne sont pas un programme. Elles sont plutôt un portrait, fermez les yeux, écoutez le texte et ça va vous sauter aux yeux. Jésus est en train de faire son portrait. Ces béatitudes sont le résumé de tout ce qu’il a dit, de tout ce qu’il a fait, de tout ce qu’il est. Elles ne sont pas une liste des nouvelles valeurs chrétiennes à promouvoir, mais ces béatitudes disent Jésus. Ce qui signifie que, si nous voulons les vivre, si nous sommes attirés par le Bonheur, mais que nous n’arrivons pas ou pas bien à être pauvre de cœur, docile, miséricordieux, assoiffés et affamés de justice, ce n’est pas en faisant des efforts que nous y arriverons, mais c’est en accueillant Jésus en nous. À chaque communion, c’est Jésus que je reçois et à force de le recevoir, de le laisser me travailler de l’intérieur, je finirai bien par lui ressembler. 

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