En méditant ces lectures qui nous sont proposées en cette fête de Ste Thérèse Bénédicte de la Croix, je me suis posé la question de savoir pourquoi elles avaient été proposées précisément pour cette fête. Pour la 1° lecture, une réponse m’est venue assez vite, pour l’Evangile, ça a été beaucoup plus laborieux, le Saint-Esprit a tardé à répondre à ma demande de lumière. Il finit toujours par répondre, mais il aime parfois nous faire attendre un peu pour tester notre patience et persévérance.
La 1° lecture, j’ai dit que je n’ai pas eu de mal à trouver car Edith Stein, je l’appelle volontairement par son nom de naissance représente assez bien cette épouse infidèle que le Seigneur veut entraîner jusqu’au désert pour parler cœur à cœur avec elle. En effet, Edith était née dans une famille juive et elle n’est pas née n’importe quel jour puisqu’elle est née pour la fête du Yom Kippour, la fête du Grand Pardon, l’une des plus grandes fêtes juives. Sa naissance représentait tout un programme. Oui, mais voilà que, jeune fille, elle va laisser tomber la foi. Passionnée par ses études, particulièrement la philosophie, comme un certain nombre d’intellectuels, notamment de philosophes, elle tournera le dos à la religion, devenant agnostique. Sa famille vivra son choix comme un profond reniement.
Mais le Seigneur n’avait pas dit son dernier mot ! Il n’allait pas laisser s’éloigner de lui une si belle âme sans chercher à la reconquérir comme le disait le prophète Osée dans la 1° lecture. Et il va s’y prendre d’une manière très étonnante. Elle, la grande philosophe, si brillante, il aurait pu chercher à reconquérir son cœur en faisant briller la lumière de vérité qui jaillit du christianisme. Mais ce n’est pas ainsi qu’il s’y est pris. Un été, elle était à Francfort avec des amis et, ensemble, ils entrent, sans doute en touristes curieux, dans la cathédrale. Je dis touristes curieux car elle, elle se déclarait agnostiques et ses amis étaient membres de l’Eglise évangélique. Elle raconte elle-même ce qui s’est passé, vous allez voir comme c’est étonnant, pas de révélations extraordinaires, pas d’illumination de son intelligence, voilà ce qu’elle dit : « Nous sommes entrées pour quelques minutes dans la cathédrale et, pendant que nous nous tenions là dans un silence respectueux, une femme est entrée avec son panier à provisions et s’est agenouillée sur un banc pour une courte prière […] Là, quelqu’un venait, au beau milieu de ses occupations quotidiennes, dans l’église déserte comme pour un entretien intime. Je n’ai jamais pu l’oublier »
Elle a été touchée par cette femme et surtout par le fait qu’elle avait compris que cette femme était venue pour vivre un dialogue intime. Sans doute que c’était l’attitude de cette femme qui ne lui permettait pas de douter qu’elle vivait un dialogue intime et si elle vivait un dialogue intime, c’est qu’il y avait quelqu’un qui habitait ce lieu ! C’est à travers la prière banale de cette femme que le Seigneur était venu parler à son cœur, qu’il avait commencé à reconquérir son cœur. Evidemment, pour une philosophe de cette trempe, cette émotion ne suffisait pas à la faire basculer. Un soir de mai 1921, c’est la lecture de Thérèse d’Avila qui vaincra ses dernières résistances. Ayant refermé le livre, elle dira : ceci est la vérité ! Le Seigneur a su utiliser tous les moyens nécessaires pour reconquérir son cœur.
On peut dire que la suite de la lecture d’Osée s’accomplit : Je ferai de toi mon épouse pour toujours, je ferai de toi mon épouse dans la justice et le droit, dans la fidélité et la tendresse, je ferai de toi mon épouse dans la loyauté, et tu connaîtras le Seigneur. En effet, le 1° janvier 1922 elle est baptisée, 7 mois après l’illumination vécue dans la lecture de l’autobiographie de Thérèse. Comme vous pouvez le constater, le catéchuménat aura été très rapide pour cette surdouée ! Pour sa mère, ça sera une 2° trahison qu’elle vivra peut-être encore plus douloureusement que la 1°. Rentrée plus tard au carmel, elle écrira fidèlement, chaque semaine, à sa mère, mais ne recevra jamais de réponse ! Elle tentera d’expliquer à cette maman meurtrie qu’elle se sentait de nouveau juive depuis son retour à Dieu dans le christianisme. Vous savez, c’est une phrase de ce genre qui concluait le merveilleux fils me de Gad Elmaleh, « reste un peu. » Cad Elmaleh a voulu que la dernière phrase qui s’affiche sur l’écran soit cette déclaration du cardinal Lustiger : « C’est dans le christianisme que j’ai découvert l’enseignement du judaïsme qui ne m’avait pas été donné comme enfant juif. »
Tellement marquée par sa lecture de Thérèse d’Avila, elle rentrera au carmel, l Le jour de la fête de sainte Thérèse d’Ávila, le 15 octobre 1933, en avril 1934, elle reçoit l’habit et en avril 1938, elle fait ses vœux perpétuels. La simple évocation de ces dates nous montre que nous entrons dans des années qui vont devenir de plus en plus noires. Quelques mois plus tard, elle passera la frontière sur l’ordre de son abbesse pour se réfugier en Hollande, mais c’est là-bas qu’au cours de l’été 1942, elle est arrêtée par les officiers nazis avec une de ses sœurs de sang qui s’était convertie et qui se cachait avec elle. Le 2 août, elles sont conduites à Auschwitz et le 9 août, elles mourront dans la chambre à gaz. Elle qui était née un jour de Yom Kippour, jour du pardon, de la réconciliation écrira quelques temps avant sa mort : « Déjà maintenant j’accepte avec joie, en totale soumission et selon sa très sainte volonté, la mort que Dieu m’a destinée. Je prie le Seigneur qu’Il accepte ma vie et ma mort […] en sorte que le Seigneur en vienne à être reconnu par les siens et que son règne se manifeste dans toute sa grandeur pour le salut de l’Allemagne et la paix dans le monde. » Oui, comme vous pouvez le constater la prophétie d’Osée est entièrement accomplie : Je ferai de toi mon épouse pour toujours, je ferai de toi mon épouse dans la justice et le droit, dans la fidélité et la tendresse, je ferai de toi mon épouse dans la loyauté, et tu connaîtras le Seigneur. Donc pas de problème pour la 1° lecture, elle permet de relire toute la vie de Ste Thérèse Bénédicte de la Croix.
Mais pourquoi est-ce cet Evangile des vierges folles et sages qui a été choisi pour cette fête ? Je vous partage ce que j’ai compris de ce que le Saint-Esprit a essayé de me faire comprendre ! Mais il peut tout à fait vous inspirer d’autres explications ! Il y a deux points que j’aimerais développer.
Le 1° point, c’est qu’Edith Stein, dans la 1° partie de sa vie, ressemble à ces jeunes filles qui s’étaient endormies. Elle avait laissé s’endormir la foi reçue de sa mère. Je dis de sa mère parce que, dans le judaïsme, c’est la mère qui donne la religion, mais aussi et surtout parce que son père est mort alors qu’elle avait à peine plus de 2 ans. Elle n’aura donc comme référence, et référence religieuse, que sa mère. Cette mère, elle l’admirait, c’était une mère courage qui s’est dépensée sans compter pour élever ses 11 enfants car le papa était mort avec pas mal de dettes, n’arrivant pas à faire tourner correctement son commerce de bois. Elle admirait sa mère mais elle a laissé s’endormir sa foi parce qu’elle a rendu Dieu responsable de ce grand malheur qu’a été la mort de son père, elle a laissé s’endormir sa foi parce qu’elle ne s’est jamais demandé où, en qui, sa mère puisait son énergie. Toute cette période où elle a laissé sa foi s’endormir fut une période brillante de réussite intellectuelle, mais pas forcément une période très heureuse. Nous sommes responsables de la foi qui nous a été confiée, à nous de faire ce qu’il faut pour qu’elle ne meure pas.
Le 2° point qui pourrait justifier le choix de cet Evangile, c’est la finale si étonnante de ce texte avec cette attitude si peu évangélique des jeunes filles qui avaient de l’huile en réserve et qui refusent de la partager. Comment Jésus peut-il être d’accord avec ce comportement si peu évangélique ? Elles ne partagent pas en disant : si on partage, on finira nous aussi dans la nuit, il n’y en aura pas assez pour nous et pour vous ! Et la fin du texte est aussi peu évangélique, ce maitre qui n’ouvre pas et qui dit : je ne vous connais pas ! Il y aurait beaucoup à dire, mais je reste dans la perspective de cette fête que nous célébrons. Quand on lit de près le texte, il y a un point dans l’attitude des jeunes filles insensées qui n’est pas très juste. Non seulement, elles ont été imprévoyantes, mais en plus, quand elles voient qu’elles ne trouveront de l’huile ni auprès de leurs amies, ni auprès des marchands, elles tambourinent à la porte et exigent de pouvoir entrer quand même : Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !
Au lieu d’exiger, si elles avaient osé reconnaître leur pauvreté et leur responsabilité en disant : Seigneur, Seigneur, nous avons été stupides et maintenant nous nous trouvons dans la nuit, mais nous faisons appel à ta miséricorde pour entrer. Il est sûr que la porte leur aurait été ouverte. C’est ce qu’a fait Edith Stein, elle avait laissé s’éteindre la lumière de la foi, mais au fond d’elle-même, humblement, elle a dû beaucoup supplier le Seigneur pour qu’il prenne pitié de sa nuit et il l’a fait. Ainsi en sera-t-il pour nous à chaque fois que nous frapperons à la porte du cœur de Dieu, sollicitant sa miséricorde en reconnaissant notre part de responsabilité pour ces ténèbres que nous avons laissé s’installer en nous et qui ne nous ont pas tenu dans le bonheur.