La 1° lecture était extraite du texte le plus court de toutes les Ecritures, la lettre à Philémon, plus souvent appelé « le billet à Philémon », justement à cause de sa brièveté. Inutile de chercher des chapitres dans cet écrit, il n’y en a pas, il n’y a que des versets, 25 au total. Quand on lit la totalité de ce billet à Philémon, on est frappé par la caractère anecdotique de l’écrit et, du coup, on peut se demander pourquoi il a été retenu dans le canon des Ecritures, autrement dit ce qu’il a à nous dire aujourd’hui. En effet, Paul écrit cette petite missive à Philémon, un homme dont on ne sait absolument rien puisqu’il n’apparait que dans l’adresse de cette petite lettre. Et le sujet de la lettre est très circonstancié : Philémon avait un esclave, Onésime, qui s’est échappé parce que la condition des esclaves n’était vraiment pas réjouissante, même chez un maître chrétien, ce qui était le cas de Philémon. Paul a fait connaissance de cet Onésime qui s’est attaché à ses enseignements, et qui demandera le Baptême. Paul le prendra à son service et Onésime va lui rendre de grands services puisque, lui, Paul est prisonnier, en fait on devrait plutôt dire, assigné à résidence. Onésime lui apporte donc un concours appréciable, il peut faire les courses, contacter les personnes que Paul veut rencontrer, bref, Paul ne peut plus se passer de lui.
Oui, mais voilà, il y a un double problème qui sera à l’origine de l’écriture de ce billet.
- 1° problème, Paul a quand même mauvaise conscience d’utiliser Onésime à son service, alors qu’il s’est échappé de chez Philémon qui est aussi une connaissance de Paul. On ne sait rien de lui, c’est vrai, mais Paul, au début de ce billet, le nomme « son bien-aimé collaborateur. » Paul a donc conscience qu’en utilisant Onésime à son service sans rien en dire à Philémon, il a une attitude pas très fair-play.
- 2° problème, Onésime s’est échappé de chez son maître, il est donc hors-la-loi. S’il se fait prendre, il va le payer très cher ; quand on arrêtait un esclave en fuite, la punition qui lui était infligée devait servir de leçon à tous ceux qui avaient envie de s’enfuir pour leur faire passer ce projet ! Il est donc propable que, Onésime, fatigué par ce stress permanent ait demandé à rentrer chez son maître.
Pour ces deux raisons, Paul juge qu’il est temps de renvoyer Onésime chez Philémon. Oui, mais, là encore, il y a deux problèmes qui se posent.
- 1° problème : s’il est arrêté en route, que va-t-il devenir ? C’est pour cela aussi que Paul écrit ce billet qu’Onésime pourra présenter s’il est arrêté, billet qui prouvera qu’il est décidé à rentrer chez son maître et qui devrait encourager la police de l’époque à la clémence.
- 2° problème : comment va-t-il être accueilli à son arrivée chez Philémon ? Certes, Philémon est chrétien, mais s’il ne donne pas une leçon à Onésime, est-ce que ça ne risque pas de donner des idées aux autres esclaves ? C’est aussi pour que l’accueil d’Onésime se passe au mieux que Paul écrit ce billet à Philémon.
Avec tout ce que je viens de dire, on comprend déjà que ce petit écrit va être une belle manifestation de la charité pastorale de Paul qui n’utilise pas les personnes en les jetant comme des kleenex usagés quand il n’a plus besoin d’eux ou quand il ne peut plus les garder. Rien que pour cela, ce billet à Philémon est déjà important pour nous aider à traiter toute personne avec qui nous collaborons, à quelque niveau que ce soit, comme une personne, une vraie personne. Et c’est d’autant plus vrai quand il y a un rapport hiérarchique, ce qui était le cas entre Paul et Onésime.
Mais il y a encore une autre raison qui donne une grande portée à ce petit billet, apparemment très circonstancié et cela, je l’ai découvert en lisant le petit livre du frère Adrien Candiard sur le billet à Philémon. En fait, ce petit écrit est un véritable traité, écrit de manière très condensée, sur le thème de la liberté chrétienne et de l’accompagnement spirituel : comment laisser libre ceux que l’on accompagne tout en les aidant à prendre des décisions éclairées, c’est un véritable défi !
En effet, à aucun moment, Paul ne va dicter à Philémon les décisions qu’il doit prendre, il veut respecter la liberté de Philémon et d’ailleurs, comme la situation est très compliquée, Paul n’a pas forcément la solution.
Paul ne peut donc pas décider pour Philémon car il n’est pas à sa place, ce n’est pas lui qui assumera les conséquences du choix qu’il dicterait à Philémon. Et il en va toujours ainsi pour les personnes que nous accompagnons : nous ne sommes pas à leur place, nous ne savons pas ce qu’elles sont en mesure de porter et ce qui les écraserait, nous n’avons donc jamais à dicter une décision.
Quant à l’Evangile, il nous a fait entendre cet avertissement de Jésus qui nous demande de ne pas courir sans arrêt pour aller voir ou écouter le dernier truc étonnant qui nous semble tellement porteur d’avenir qu’on aurait presque envie de dire : avec telle initiative pastorale, avec telle prédication, c’est vraiment le Royaume de Dieu qui est là. N’y allez pas, n’y courez pas ! dit Jésus. Ça ne veut pas dire qu’il ne faudra pas chercher à s’inspirer de ce qui est bon, mais le défi, c’est de faire jaillir le Royaume ici et maintenant. Et ce jaillissement, il ne viendra pas par magie en trouvant la bonne alchimie pour que des recettes pastorales extraordinaires puissent être mises en œuvre par des personnes initiées. Le jaillissement du Royaume, il dépend de nos choix personnels et communautaires de décider de nous rapprocher de Jésus, de le mettre à la 1° place dans nos vies.
Par l’intercession de Notre Dame de Laghet, demandons la grâce de savoir accompagner sans étouffer, sans diriger et demandons-lui aussi la grâce du discernement et de l’implication pour ne pas tomber dans les pièges que Jésus nous invite à déjouer.