Dans la 1° lecture, Ben Sira parle des ancêtres. Alors peut-être que certains parmi vous se disent : moi, les ancêtres, ce n’est pas ce qui me passionne, je ne fais pas mon arbre généalogique, non, les ancêtres, ce n’est pas ma tasse de thé ! Alors, je vous dis tout de suite : attention ! Oui, attention, parce que dans quelques temps, nous serons les ancêtres de nos descendants ! Et même moi qui n’ai pas de descendance, comme tous les autres prêtres (sauf Bernard !) et comme tous les membres de Foyer, peut-être que mes neveux et nièces ou petits neveux et petites nièces parleront un jour de leur vieux tonton ou n’en parleront plus ! Parce qu’en effet, Ben Sira explique qu’il y a deux catégories d’ancêtres : ceux dont on parlera, ceux dont on fera même l’éloge, dit-il et ceux qui tomberont dans l’oubli. Pour cette dernière catégorie, Ben Sira a des mots terribles, il dit : « ceux-ci, c’est comme s’ils n’avaient jamais existé, c’est comme s’ils n’étaient jamais nés ! » Alors, c’est donc à nous de choisir à quelle catégorie nous voulons appartenir : ceux dont on ne se lasse pas de faire l’éloge ou ceux qui tombent dans l’oubli.
Mais attention, il ne s’agit pas de chercher comment laisser orgueilleusement une trace dans l’histoire. Ça, évidemment, ce n’est pas le but ! Mais si nous aimons nos descendants, ceux qui nous suivent dans le temps, nous pouvons légitimement vouloir leur laisser un héritage. En parlant d’héritage, je ne veux pas d’abord parler d’argent ou de propriétés à transmettre. Mais c’est très beau d’entendre des personnes dire, cette ardeur qui me fait travailler à l’avènement d’un monde plus juste, je l’ai reçue de mes parents ou de mes grands-parents ou pourquoi pas de mon tonton curé ! Je prends l’exemple d’un désir de justice, mais on pourrait prendre d’autres exemples en parlant de la capacité à travailler à la réconciliation des personnes dans la vie familiale, l’entreprise, le quartier, les associations et dire que cette capacité, c’est un don que nous avons reçu, comme en héritage de tel ou tel de nos ascendants. C’est dans ce sens qu’il faut envisager vouloir laisser une trace, en sachant que c’est extrêmement désirable que de le vouloir.
Alors, ce long préambule étant fait, qui va laisser une trace puisqu’on peut aussi disparaitre dans l’oubli ? Eh bien, la réponse de Ben Sira est claire : seules les personnes miséricordieuses laisseront une trace, laisseront un héritage et quel héritage, je vous relis ce qu’il disait : les hommes de miséricorde, leurs œuvres de justice n’ont pas été oubliées. Avec leur postérité se maintiendra le bel héritage que sont leurs descendants. Leur postérité a persévéré dans les lois de l’Alliance, leurs enfants y sont restés fidèles grâce à eux. Leur descendance subsistera toujours, jamais leur gloire ne sera effacée. Seules les personnes miséricordieuses pourront laisser ce bel héritage qui va fructifier dans les générations suivantes. Seulement voilà, quand on entend ça, immédiatement, il y en a qui pourraient se sentir disqualifiés en disant : je ne serai jamais dans cette catégorie moi qui n’ai pas pardonné à mes parents, à telle personne de ma famille ou de mon entourage social ou professionnel pour l’énorme souffrance qu’ils m’ont infligé. Je n’entre pas dans les détails, j’imagine que ça peut évoquer des situations extrêmement concrètes chez un certain nombre d’entre vous.
Cette mention de Ben Sira m’encourage à développer un peu ce que recouvre concrètement ce terme d’homme ou femme de miséricorde. Et j’ai été conforté dans cette décision de développer ce point en accueillant tel ou tel d’entre vous.
Je crois que la grande méprise à propos du pardon vient d’une mauvaise compréhension de ce qu’est le pardon. Et il me semble que lorsque des personnes disent : je n’ai pas pardonné et, au jour d’aujourd’hui, je ne veux pas pardonner, en fait, ils veulent dire : je ne PEUX pas pardonner. Et pourquoi ne peuvent-ils pas ? Parce que, la plu part du temps, ils n’ont pas une idée juste du pardon et ils sont donc bloqués. C’est tellement important de pouvoir profiter d’une retraite pour débloquer des situations bloquées que je me permets d’oublier l’Evangile sur lequel, il aurait été pourtant bon de dire deux mots car cette histoire du figuier que Jésus maudit mériterait d’être expliquée. Mais le temps d’une homélie ne me permet pas de traiter les deux questions, je prends donc celle du pardon qui me semble la plus vitale parce que si on peut la résoudre, ça enlèvera de gros poids de souffrance à bon nombre de personnes.
Il faut donc bien faire la distinction entre : je ne veux pas pardonner et je ne peux pas pardonner. Ce n’est pas du tout pareil ! Dans l’Evangile, Jésus n’est pas tendre avec ceux qui ne veulent pas pardonner, par contre, il sera extrêmement miséricordieux et patient avec ceux qui ne peuvent pas pardonner. Et je crois qu’il nous demande, particulièrement à nous les prédicateurs d’aider ceux qui sont coincés par une impossibilité et qui du coup, souffrent beaucoup.
Qu’il soit bien clair que pardonner ce n’est pas oublier ! Parce qu’il y a des actes qui ne peuvent pas s’oublier, qui restent inscrits dans la chair, je pense particulièrement à tout ce qui touche aux abus sexuels ou aux incestes, mais il peut y avoir bien d’autres traumatismes qui semblent impardonnables car impossibles à oublier. C’est sûr, jamais la personne abusée ne pourra oublier, elle reste profondément marquée, déstabilisée. Donc, ce n’est pas parce qu’on ne peut pas oublier qu’il faut penser qu’on ne peut pas pardonner. Pardonner, ce n’est pas non plus passer l’éponge, faire comme si rien ne s’était passé, rembobiner le film de notre vie, effacer la scène ou les scènes d’agression pour faire comme s’il n’y avait rien eu. Alors, c’est quoi pardonner ?
Pardonner, c’est dire à l’autre : tu m’as fait profondément souffrir, mais je crois que tu dois être capable de faire du bien, je ne veux pas t’enfermer dans le mal que tu as fait. Moi qui ai rempli pendant 8 ans la mission d’aumônier de prison, je peux vous dire que je me bats pour ne jamais laisser dire : telle personne est un violeur, telle personne est un meurtrier. Non ! C’est une personne qui a commis un viol, qui a commis un meurtre et c’est extrêmement grave, mais toute sa vie ne se résume pas au mal qu’il a commis. Un peu comme aujourd’hui, on ne dit plus, du moins on ne devrait plus dire : c’est un aveugle, c’est un sourd … non ! C’est une personne qui est aveugle, une personne qui est sourde, une personne qui est handicapée. Ce qui la caractérise profondément, c’est d’être une personne, ce n’est pas son handicap qui la caractérise, elle est d’abord et avant tout une personne. Ainsi en va-t-il de celui ou celle qui a pu me faire beaucoup de mal, refuser de la réduire au mal qu’il ou elle m’a fait, refuser de l’enfermer dans ce mal c’est lui reconnaître sa dignité de personne humaine, une dignité abimée par le mal qu’il ou elle a pu commettre mais une dignité qui ne se perd jamais totalement. C’est du moins ce que nous dit l’enseignement de l’Eglise.
Donc peut-être que je peux commencer à envisager que le pardon est possible quand j’ai compris que pardonner, ce n’était ni oublier, ni effacer mais pouvoir dire à la personne : tu m’as fait profondément souffrir et j’en garde des séquelles mais je ne veux pas te réduire au mal que tu m’as fait. Il faut donc se préparer, parfois longuement, pour qu’un jour cette démarche devienne possible. Il faut demander au Saint-Esprit qui est le maître de l’impossible de nous accompagner dans la préparation et dans la démarche. Et un jour, il faut se décider à vivre la démarche.
Pourquoi c’est si important de pouvoir pardonner ? Parce que, tant que je n’ai pas pardonné, j’entretiens de la rancune à l’égard de la personne qui m’a profondément blessé. Et, la rancune, ça pourrit la vie ! Je lisais, sous la plume d’un psychologue, cette phrase extraordinaire : ne pas chercher à supprimer la rancune de nos cœurs vis-à-vis de ceux qui nous ont blessés, ça équivaut à accepter de rester menotter à son agresseur. Quelle justesse ! Celui qui vous a fait du mal vous a fait très mal au moment où il vous a agressé et la rancune fait que vous pensez constamment à lui ou à elle et que donc il ou elle continue à vous pourrir la vie parce que, en permanence, vous restez comme obsédés par son visage, et éventuellement par le désir de prendre votre revanche. Cette psychologue avait raison : entretenir de la rancune, c’est accepter de rester menotté à son agresseur. Voilà pourquoi c’est terrible de ne pas pardonner, avec la rancune inévitable que vous entretenez à cause de ce non-pardon, vous restez menottés à votre agresseur, ce qui signifie que votre souffrance ne pourra jamais être guérie. Si ce n’est pas par charité à l’égard de l’agresseur que vous pardonnez, faites-le au moins par charité à l’égard de vous-mêmes pour vous offrir le droit de ne plus souffrir. Si vous êtes dans cette situation et que vous sentez que mes paroles vous rejoignent, faites-vous accompagner pour qu’un jour et le plus vite possible, mais en laissant quand même le temps au temps, vous puissiez vous libérer et libérer aussi votre agresseur par cette démarche du pardon. Je sais que, dans certaines situations, pour plein de raisons, une démarche n’est pas possible pour que ce pardon soit verbalisé, si vous êtes dans cette situation, ce que je vais dire pourra peut-être vous laisser entrevoir comment pour vous pourriez donner ce pardon libérateur.
Parce qu’il y a une situation où clairement la démarche en présentiel comme on dit aujourd’hui n’est pas possible, c’est quand l’agresseur est mort : comment pardonner à ceux qui sont morts ? C’est une vraie question car il n’est pas rare d’entretenir une rancune tenace et mortifère à l’égard d’une personne décédée depuis peu ou depuis longtemps. Je pense qu’il y a 3 démarches possibles et qui peuvent être complémentaires.
1/ Aller se confesser de la rancune entretenue et en profiter pour demander au prêtre d’être témoin de notre loyauté dans la démarche de pardon que nous voulons faire à l’égard d’une personne décédée. Ça suppose que vous ayez préparé ce que vous voulez dire pour accorder votre pardon. Vous le dites et le prêtre est témoin de votre loyauté et s’il est assez fin dans son discernement, après vous avoir donné l’absolution, il vous dira une parole de libération en attestant que votyre pardon était sincère et qu’il vous met sur un chemin de résurrection.
2/ Aller au cimetière sur la tombe de la personne et prononcer à voix basse ou à voix haute ces paroles en vous faisant accompagner si c’est possible d’une personne que vous aimez, qui connait votre problème et qui comprendra votre démarche. Toujours pareil, cette personne sera témoin de votre loyauté. Du coup, si un jour, la rancune revient et que vous en arrivez à vous demander si vous avez vraiment pardonné, la personne pourra attester que votre démarche était vraie. Vous comprendrez alors que cette rancune qui revient n’est qu’une attaque du Malin qui lui ne veut pas que vous marchiez sur un chemin de résurrection.
3/ Enfin, faites célébrer une messe à l’intention de votre agresseur défunt. En faisant célébrer une messe pour lui vous l’associez au sacrifice du Christ qui a versé son sang pour les pécheurs et donc pour votre agresseur. Demander qu’une messe soit célébrée pour lui, c’est donc bien le signe que vous pardonnez puisque vous demandez ainsi à Jésus de le sauver.
Je m’excuse d’avoir été un peu long, mais le sujet était délicat et important. Et je suis bien conscient qu’il aurait aussi fallu parler de tous ces pardons que nous ne nous sommes pas encore accordés et qui sont un énorme blocage dans notre vie … mais dans l’accompagnement spirituel, c’est aussi un sujet qui peut être abordé, que cet accompagnement se vive ici dans le temps qui nous reste ou chez vous ! Merci à Ben Sira qui m’a permis de l’aborder. Que le Seigneur accompagne tous ceux, toutes celles qui se sentent appelés à vivre cette démarche, que la Vierge Marie les prenne sous son manteau de protection.
Le pardon est le purdon que le Seigneur puisse nous accorder par pure grâce.