Mardi, dans mon commentaire sur Zachée, je disais aux retraitants, que le mot de Dieu par excellence, c’est le mot « AUJOURD’HUI. » Pour Dieu, il n’y a rien de plus important que mon AUJOURD’HUI. C’est pour cela que ce mot revient si souvent dans les Ecritures et, de fait, il revenait deux fois dans le texte sur Zachée au chapitre 19 de St Luc. « Zachée, descends vite, AUJOURD’HUI, il me faut demeurer chez toi ! » Et un peu plus loin : « AUJOURD’HUI, le Salut est entré dans cette maison. » C’est vrai dans le moment, il n’y avait rien de plus important pour Jésus que l’AUJOURD’HUI de Zachée. Et il en va ainsi pour chacun de nous, pour le Seigneur, rien n’est plus important que notre AUJOURD’HUI.
Mais alors, s’il en est ainsi, pourquoi le passage du Deutéronome entendu en 1° lecture semble-t-il nous tourner vers le passé ? Pourquoi Moïse dit-il au peuple : Interroge les temps anciens qui t’ont précédé, depuis le jour où Dieu créa l’homme sur la terre ? Et vous voyez que ce n’est pas un petit retour en arrière que propose Moïse, il invite à remonter jusqu’à la création ! Si Moïse invite le peuple à garder la mémoire du passé, c’est précisément pour l’aider à vivre son AUJOURD’HUI.
Moïse va proposer une lecture guidée du passé, il donne comme une grille de relecture en lui disant : Est-il arrivé quelque chose d’aussi grand, a-t-on jamais connu rien de pareil ? Est-il un peuple qui ait entendu comme toi la voix de Dieu parlant du milieu du feu ? … Est-il un dieu qui ait entrepris de se choisir une nation, de venir la prendre au milieu d’une autre, à travers des épreuves, des signes, des prodiges et des combats, à main forte et à bras étendu, et par des exploits terrifiants, comme tu as vu le Seigneur ton Dieu le faire pour toi en Égypte ? A travers tous ces événements que Moïse évoque, il invite le peuple à faire mémoire de la proximité de Dieu, la proximité bienfaisante de Dieu qui a toujours tout fait ce qu’il fallait en faveur de ce peuple qu’il s’était choisi. Quelques versets avant la lecture d’aujourd’hui, il y avait cette magnifique déclaration : Quelle est en effet la grande nation dont les dieux soient aussi proches que le Seigneur notre Dieu est proche de nous chaque fois que nous l’invoquons ?
Nous connaissons ce chant, il parle de Jésus, mais les paroles pourraient être un résumé de ce que Moïse veut permettre au peuple de dire après avoir fait mémoire de tout ce que Dieu a fait pour eux. Il est préférable que je ne chante pas, je vous cite donc les paroles : J’ai cherché, cherché, personne, personne ! J’ai fouillé, fouillé, personne, personne ! J’ai tourné, tourné, personne, personne ! Il n’y a vraiment personne comme lui ! Vous le voyez, dans cette invitation à la relecture de son histoire, ce n’est pas une séquence nostalgie que Moïse serait en train de lancer, il veut que le peuple soit convaincu qu’il n’y a personne, personne comme Dieu ! Moïse le dira avec ses mots à lui, nous les avons entendus, ils sont tellement proches du chant : Il t’a été donné de voir tout cela pour que tu saches que c’est le Seigneur qui est Dieu, il n’y en a pas d’autre.
Cet exercice de mémoire spirituelle, il est particulièrement indiqué quand notre AUJOURD’HUI nous fait vivre dans un profond brouillard. En effet, quand on est dans le brouillard et un brouillard très épais, on va perdre tout repère. Et il y en a Un qui s’y connait pour venir, dans ces moments-là nous faire douter de tout. Parce que mon AUJOURD’HUI est compliqué, je vais me mettre à dire qu’avec Dieu, c’est TOUJOURS comme ça, qu’on ne peut JAMAIS se fier à lui parce que c’est précisément dans les moments où on a le plus besoin de lui qu’il est aux abonnés absents.
Ces TOUJOURS et ces JAMAIS, c’est le Malin qui nous les suggère parce qu’il veut nous faire douter de la bonté de Dieu. Depuis le jardin d’Eden, c’est sa stratégie : nous faire douter de Dieu, nous faire douter de la bonté de Dieu pour nous. Oui, peut-être que Dieu est bon, en général, pour les autres, mais pas pour moi, en tout cas, je ne peux pas le vérifier ! Pour moi, il ne fait JAMAIS rien et c’est TOUJOURS pareil, j’ai beau faire des retraites, rien ne se passe. Du coup, à quoi bon rester fidèle ? Et c’est ainsi que perdu dans le brouillard de mon AUJOURD’HUI, je risque de remettre en cause toute une orientation de vie, tous mes choix de vie.
Quand on est empêtré dans ce genre de sentiments ou plutôt de ressentiment, il n’y a qu’un seul remède : relire notre histoire, activer notre mémoire spirituelle. En effectuant cet exercice, nous pourrons nous retrouver dans deux situations différentes :
– 1° situation : je réalise vite que mes TOUJOURS et mes JAMAIS sont très largement exagérés parce qu’il y a eu tel événement dans ma vie d’enfant, puis dans ma vie de jeune, et encore dans ma vie d’adulte où je peux reconnaître que le Seigneur était là, qu’il m’a donné une grande joie, accordé un pardon qui m’a remis debout, que sais-je encore. Je réalise donc que ce n’est pas parce que, AUJOURD’HUI, je suis dans le brouillard que Dieu n’a JAMAIS été avec moi, je réalise ainsi que ce n’est pas vrai, je ne suis pas TOUJOURS le dernier servi lors de la distribution des grâces ! Le recours à la mémoire spirituelle désamorce la manœuvre du Tentateur.
– 2° situation : en effectuant ma relecture de vie, je découvre que j’ai quand même eu une succession de tuiles impressionnantes dans ma vie. C’est assez mystérieux et parfaitement impossible à comprendre, mais c’est vrai qu’il y a des vies qui sont parsemées d’épreuves se succédant à un rythme effrayant. Dans cette situation, je peux quand même en conclure que Dieu n’a sûrement pas été loin de moi parce que s’il n’avait pas été là, qu’est-ce que je serai devenu ? Si j’ai pu tenir, ne pas m’effondrer, ne puis-je pas y lire un signe de sa grâce discrètement, mais réellement présente ? Hier en faisant du vélo d’appartement pour poursuivre ma rééducation, j’écoutais sur KTO le témoignage d’une religieuse en Haïti, sœur Païsi que j’avais eu la grâce d’avoir comme retraitante à La Flatière. Elle expliquait qu’elle était étonnée de constater que dans ce pays qui va si mal, il n’y a pas une seule personne qui soit dépressive ! Elle expliquait que lors du dernier tremblement de terre, elle faisait ce qu’elle pouvait pour soutenir les familles endeuillées et elle racontait que, partout où elle allait, elle entendait cette parole en créole : Bon Dieu connait ! Qu’on pourrait traduire par : le Bon Dieu reste aux commandes. Ils ne comprenaient pas pourquoi le sort s’acharnait contre eux, mais ils restaient convaincus que le Bon Dieu restait aux commandes, qu’il ne les abandonnerait pas, qu’il leur donnerait la force. Gardons cette parole au cœur quand nous traversons des épreuves : Bon Dieu connait ! Il ne nous abandonnera jamais !
Oui, il nous faut alimenter notre mémoire spirituelle pour que, dans les jours de brouillard, nous puissions croire encore que Dieu est là. Et, un jour, relisant ce qui s’est passé dans ces jours de brouillard, nous deviendrons capables de dire, à la manière de Jacob : Dieu était là et je ne le savais pas, je ne m’en rendais pas compte ! Gn 28,16. C’est sûr que ça aurait été très profitable si, depuis notre enfance, on nous avait encouragé à tenir un cahier de gratitude, dans lequel on nous aurait invité à noter chaque jours 5 gratitudes à l’égard de Dieu. Les jours de brouillard, il suffirait de l’ouvrir, de relire et on repérerait vite la manœuvre du Tentateur.
Je l’ai évoqué pour la communauté du Foyer, il y a quelques jours dans une homélie. Cette mémoire spirituelle, je la vois très bien mise en œuvre dans la parabole du Père et des deux fils. Qu’est-ce qui va pousser le fils perdu à revenir ? On dit souvent que c’est la faim, mais je crois que ce n’est pas juste, la fin, le pousse à entrer en lui-même, à descendre en lui-même, à ne plus se cacher la vérité. La faim le pousse à l’examen de conscience : j’ai fait une belle ânerie ! Non, ce qui le pousse à rentrer, ce qui l’encourage à se lever et à reprendre le chemin vers la maison du Père, c’est la mémoire spirituelle. Il se rappelle que, chez son Père, même les ouvriers mangent à leur faim, c’est dire la bonté du Père qui partage avec tous. Rentrant en lui-même, il active sa mémoire spirituelle et, du coup, il peut se lever, partir et décider de rentrer malgré la honte qui le ronge.
Demandons vraiment au Saint-Esprit de tenir en éveil cette mémoire spirituelle en chacun de nous. Jésus a promis qu’il serait Celui qui nous ferait souvenir de tout. Jn 14,26 Alors, faisant mémoire de tout ce que le Seigneur a fait pour nous, nous pourrons entendre les paroles que Moïse prononçait à la fin de la lecture : Alors, sache donc AUJOURD’HUI, et médite cela en ton cœur : c’est le Seigneur qui est Dieu, là-haut dans le ciel comme ici-bas sur la terre ; il n’y en a pas d’autre. Tu garderas les décrets et les commandements du Seigneur que je te donne aujourd’hui, afin d’avoir, toi et tes fils, bonheur et longue vie sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu, tous les jours. Oui, rappelle-toi toujours 1/ il n’y a personne comme lui et 2/ Bon Dieu connait !