La situation qui nous est décrite dans l’Evangile est assez rare. Il n’est pas rare que Jésus ferraille contre les scribes et les pharisiens, mais il est plutôt rare qu’il le fasse en leur absence. Les versets qui précèdent nous montrent Jésus aux prises avec les scribes et les pharisiens, dans un dialogue de vérité et juste avant, c’était avec les saduccéens qu’il discutait fermement. Nous le voyons bien, Jésus accepte de dialoguer avec tout le monde, pour lui, nul n’est infréquentable. Puisqu’il est la vérité, il est prêt à engager un dialogue de vérité avec chaque personne, avec chaque groupe de personne. Mais, habituellement, il le fait précisément dans un dialogue, c’est-à-dire, en vis-à-vis avec ses interlocuteurs. Là, dans le passage que nous venons d’entendre, il semble bien qu’ils ne soient plus là, c’est ce que laissait entendre le début du texte : En ce temps-là, Jésus s’adressa aux foules et à ses disciples, et il leur déclara.

Ce que Jésus veut dire à ses disciples et aux foules doit être sacrément important pour qu’il déroge à cette règle qui veut qu’on ne parle pas d’une personne en son absence … sauf pour dire du bien d’elle ! Là, on peut le faire en son absence … mais il peut aussi être bon de le faire de temps en temps en présence de la personne pour lui dire notre reconnaissance. Vous connaissez la chanson : on devrait toujours dire aux gens qu’on aime qu’on les aime ! Revenons à nos moutons ! Pourquoi donc Jésus se permet-il de déroger à cette grande règle que j’ai énoncée ? Je crois qu’il le fait, justement, parce qu’il est le bon berger et qu’il a le souci de ne laisser aucune brebis s’égarer. Dans la parabole du bon berger, Jésus explique que les brebis sont très sensibles à la voix du berger. Il a donc conscience du pouvoir de la voix, de la parole. Un bon berger qui a une bonne parole va rassembler son troupeau, lui éviter de se perdre, d’aller dans des endroits dangereux. A l’inverse un mauvais berger pourra manipuler son troupeau ; conscient du pouvoir qu’il a par sa parole, il peut les conduire où il veut et profiter de son troupeau. 

Le prophète Ezéchiel, en son temps, avait développé toute une série de mises en gardes à l’égard des mauvais bergers qui ne servent pas le troupeau mais qui se servent du troupeau pour assouvir leurs intérêts. St Augustin a commenté ce texte de manière percutante dans une série de sermons que le bréviaire nous donne à lire dans l’office des Lectures chaque année au moment de la rentrée pastorale de septembre.

Jésus va donc instruire ses disciples et les foules sur le risque très grand qu’ils courent de se laisser séduire par des paroles qui peuvent paraître belles mais qui sont vides. Et c’es là qu’il pointe du doigt les scribbes et les pharisiens. Ils ont de très belles paroles, mais il y a plusieurs problèmes chez eux que Jésus va pointer du doigt.

• Le 1° problème, c’est qu’ils enseignent dans la chair de Moïse. C’est-à-dire qu’ils revendiquent l’autorité de Moïse pour donner du poids à leur parole pour empêcher qu’elle ne soit contestée.
• Le 2° problème, c’est que, si on peut les écouter, il ne faut surtout pas les imiter car ils disent et ne font pas. Enfin, en public, ils essaient de donner le bon exemple, Jésus les accuse même d’en rajouter : ils élargissent leurs phylactères et rallongent leurs franges.
• Le 3° problème qui est un développement du précédent, c’est qu’ils se soustraient aux exigences de la parole qu’ils annoncent. Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt.

Eh bien, à travers ces 3 mises en garde que je viens d’énumérer, nous avons pour une part la description du phénomène d’emprise, la description de la stratégie utilisée par certaines personnes pour mettre en place un système d’abus en tant de domaines.

Comme les scribbes et les pharisiens qui revendiquaient haut et fort qu’ils enseignaient dans la chair de Moïse, les abuseurs se sont débrouillés pour que leurs propos et pire, leurs propositions, ne puissent être suspectées ou contestées. Ils parlaient avec un discours qui enfumait tout le monde et revendiquaient les plus hauts appuis que personne ne pensait d’ailleurs à vérifier ! Comme les scribbes et les pharisiens, en public, ils avaient un comportement édifiant n’hésitant pas à en rajouter pour mieux épater la galerie, mais en privé, mon Dieu, c’était moins reluisant. Enfin, comme les scribes et les pharisiens, ils se dispensaient de ce qu’ils imposaient aux autres au niveau de la simplicité de vie, des renoncements et de tant d’autres choses. 

Jésus a tenu à mettre en garde non seulement ses disciples, mais aussi les foules pour montrer le risque très grand que tous couraient de se laisser fasciner par les beaux parleurs qui pourraient se servir de leurs paroles comme un charmeur de serpent se sert de sa flute pour hypnotiser et manipuler son serpent et l’amener à faire ce qu’il veut. Ceux qui se sont servis du pouvoir de leur parole, ceux qui ont dévoyé la parole auront à rendre compte devant le Seigneur. Car, nous le savons, il ne peut y avoir de miséricorde sans justice.

Mais après avoir fustigé les scribes et les pharisiens, Jésus va aussi mettre en garde les foules et les disciples contre la tentation d’utiliser des titres pompeux quand ils s’adressent à ces beaux-parleurs. L’avertissement de Jésus fonctionne, en effet, dans les deux sens : ne vous faites pas donner de titres, et n’appelez personne d’un titre pompeux. Je ne sais pas si Jésus, à travers ses paroles, voulait interdire qu’on appelle les prêtres « père », les évêques « Monseigneur ». Mais en tout cas il nous met en garde. Ceux qui aiment qu’on les appelle avec ces titres pompeux, qu’ils se méfient en se rappelant qu’ils sont pécheurs. Quant à ceux qui aiment utiliser ces titres pompeux, je me suis souvent dit que c’était pour se flatter eux-mêmes qu’ils donnaient sans arrêt des titres pompeux à certaines personnes comme pour dire : je connais une éminence grise ou rouge et vous voyez, je lui parle, c’est dire si, moi-même, je suis quelqu’un d’important ! C’est à l’humilité et à la vérité dans nos rapports que nous sommes appelés. J’avais aimé ce prêtre qui disait : si vous m’appelez par mon prénom et me tutoyez, vous n’oublierez pas que je suis prêtre et si vous me vouvoyez en m’appelant père, vous n’oublieriez pas que je suis un baptisé, pécheur, comme vous !

Maintenant, la lecture de ce texte pourrait aussi nous donner froid dans le dos, moi, le premier qui suis en train de vous parler et qui dois le faire si souvent ! Mais vous tous également, vous pourriez avoir froid dans le dos parce que vous avez tous à parler. Nous risquons donc tous d’être pris en faute : nous disons et nous ne faisons pas ! Alors faut-il ne plus rien dire ? Non, parce que ça ferait bien l’affaire du malin ! Mais, quand nous parlons, il faut le faire avec humilité en reconnaissant que nous parlons souvent mieux d’un certain nombre de sujets que nous ne les vivons ! J’ai un ami qui est médecin en addictologie et qui fume ! Quand il reçoit des patients qui lui demandent de les aider à arrêter de fumer, il leur dit toujours qu’il est capable de les aider mais qu’il fume, il leur dit alors : si vous pensez avoir plus confiance en un médecin qui ne fume pas, je peux vous aiguiller vers un confrère. Nous pourrions, sans doute, nous inspirer de cette manière de procéder pour reconnaitre humblement que nous sommes meilleurs à l’oral qu’en travaux pratiques !

Et puis, quand nous avons été pris en flagrant délit de ne pas totalement vivre ce que nous disons, il nous reste toujours le recours d’aller vers le Seigneur qui nous a dit dans la 1° lecture : Venez, et discutons – dit le Seigneur. Si vos péchés sont comme l’écarlate, ils deviendront aussi blancs que neige. S’ils sont rouges comme le vermillon, ils deviendront comme de la laine.