20 mars : aimer … pas comme Don Camillo !

« Quel est le premier de tous les commandements ? » Pour une fois, ce n’est pas une question piège que pose ce scribe. Cette question se posait vraiment parce que vous savez qu’en plus des 10 paroles de vie, il y avait 613 prescriptions qui venaient les compléter et c’esrt tout cet ensemble qui formaient les commandements. Il fallait donc parvenir à les hiérarchiser et c’était la grande activité à laquelle on se livrait dans les écoles rabbiniques. Et ça se faisait quasiment sous forme de jeu, il fallait être capable de faire un résumé de toute la loi en se tenant sur un pied … et comme les êtres humains ne sont pas des flamands roses, ils ne peuvent pas rester des heures sur un pied, il fallait donc être synthétique mais sans oublier l’essentiel.

Le scribe qui s’avance vers Jésus ne lui demande pas de se tenir sur un pied, mais il lui demande cette grande synthèse. Et vous aurez remarqué, et ça c’est vraiment très intéressant, que Jésus ne cite aucune des 10 parroles de vie, ni aucune des prescriptions ; pour lui répondre, il va chercher ailleurs dans les Ecritures et il lui donne le double commandement de l’amour. C’est ce que je disais déjà l’autre jour : l’accomplissement parfait de la loi, ce n’est pas la stricte observance de tel ou tel commandement, l’accomplissement parfait de la loi, c’est l’amour, j’y reviendrai.

Mais auparavant, je voudrais m’arrêter quelques instants sur les prescriptions, parce que très souvent on brocarde le judaïsme en l’accusant de légalise, ce qui n’est pas toujours faux, mais il y a quelque chose de très beau à découvrir. Pourquoi 613 prescriptions et pas 618 ou 589 ? La raison est toute simple, vous savez toutes que 613, c’est 365 + 248 ! Les juifs aiment beaucoup jouer sur les nombres. Il y a 365 prescriptions négatives or 365 c’est le nombre de jour de l’année, c’est un peu comme si la loi disait : chaque jour, tu dois rester vigilant pour ne pas franchir la ligne rouge. Et il y a donc 248 obligations et, selon les connaissances médicales de l’époque, 248, on considérait que c’était le nombre de parties qui composaient le corps humain. Si vous additionnez les deux oreilles, le nez, les dents et tout le reste, ça fait 248 ! C’est un peu comme si la loi disait : tout ton corps doit être engagé dans le respect de la loi, il n’y a pas un seul organe qui soit dispensé de bien se comporter !

Il me semble d’ailleurs que c’est ce que veut dire le passage de l’Ecriture que cite Jésus en faisant cette énumération : de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Bien sûr, on pourrait se livrer à une étude anthropologique en analysant chacun de ces termes et leur interaction. Mais je ne suis pas sûr que ce soit ce que nous propose l’Ecriture. Avec cette énumération, l’Ecriture veut nous dire que c’est toi et toi tout entier qui est engagé dans cet immense défi qui consiste à aimer Dieu. Vous vous rappelez peut-être ce passage de Don Camillo où il se prépare pour la énième fois à aller flanquer une volée à Pépone, il passe dans son église pour sortir et il cache soigneusement un bâton dans son dos, le bâton qu’il a préparé pour flanquer la volée à Pépone. Evidemment Jésus l’arrête et pour le dissuader d’utiliser ce bâton contre Pépone, il lui dit : « Don Camillo, rappelle-toi que tes mains servent à bénir ! » Don Camillo lâche son bâton, mais il ne semble pas très contrarié car il vient de trouver une autre solution pour flanquer la volée à Pépone ! Il dit au Seigneur : les mains, d’accord, Seigneur, mais pas les pieds et il fonce à toute vitesse pour administrer à Pépone un magistral coup de pied aux fesses ! 

Eh bien, il n’y a pas que les mains qui servent à bénir, à aimer, les pieds aussi et tout le reste du corps également, il me semble que c’est le sens de cette énumération : de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force.

Dans la réponse de Jésus, qui cite les Ecritures, reste à comprendre encore : ce « comme toi-même » « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Et on va faire de grands développements pour dire qu’il faut apprendre à s’aimer soi-même sinon on ne pourra pas aimer les autres. Il y a du vrai mais je ne pense pas qu’on puisse dire que ceux qui souffrent d’une mésestime d’eux-mêmes sont incapables d’aimer. J’ai lu ce matin une analyse exégétique de haut niveau sur ce « comme toi-même » et il semble bien que lorsque la bible a été traduite en grec, le mot utilisé qui a donné « comme soi-même » n’ait pas été le meilleur. La tournure hébraïque devrait plutôt être traduite par « qui est comme toi » « Tu aimeras ton prochain qui est comme toi. » C’est-à-dire que c’est d’abord une insistance sur la dignité de tout être humain. Chaque être humain est un être humain comme toi, tu n’as donc pas à faire de différences en décidant d’aimer telle catégorie d’êtres humains et en délaissant telle autre. Et cette tournure hébraïque insiste aussi sur le besoin fondamental de chaque humain d’être aimé. « Tu aimeras ton prochain qui est comme toi » c’est-à-dire qui, comme toi, a besoin d’être aimé.

Le dernier élément que je voudrais souligner, c’est l’ultime remarque de Jésus : « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. » Cette remarque pourrait nous interroger parce que ce scribe répète pratiquement mot pour mot ce que Jésus vient de dire … alors pourquoi ne lui met-il pas un 20/20 ? Pourquoi lui dire : « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. » Eh bien, tout simplement parce qu’au niveau des paroles, il peut avoir 20/20 mais les paroles ne suffisent pas, encore faudra-t-il les vivre ! Et c’est là que ça se complique pour un scribe ou plus largement pour n’importe quel être humain. Aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit et de toute sa force, c’est-à-dire en nous engageant totalement, tout entier dans le défi et aimer l’autre qui est comme moi … c’est bien au-dessus de nos forces, la barre est bien trop haute.

Je termine par cette image de la barre et donc du saut en hauteur. Peut-être avez-vous déjà entendu cette histoire, mais vous savez qu’en pédagogie, les choses finissent par rentrer quand elles sont répétées. Je ne sais pas combien vous sautiez en hauteur au temps où vous faisiez de la gymnastique, moi je n’ai jamais été très fort. Admettons que vous sautiez 1 mètre. Si on vous met la barre à 1,10, avec beaucoup d’entrainement et d’efforts, vous allez y arriver, mais si on vous la met à 3 mètres, vous pourrez faire tous les efforts que vous voulez, vous n’y arriverez pas. La tentation, c’est de passer sous la barre ! C’est comme ça que certains se contentent d’une vie médiocre dans la foi en disant : la barre est trop haute pour moi, je fais ce que je veux et si le Bon Dieu n’est pas content, eh bien, il n’avait qu’à pas tant m’en demander ! Mais qui nous a dit qu’il fallait passer une barre si haute en ne comptant que sur nos forces ? Des barres à 3 mètres, c’est possible de les passer, mêle à 6 mètres, mais, là il faut prendre une perche ! Eh bien, le Saint Esprit, c’est la perche que le Seigneur nous donne pour passer les barres qui nous dépassent. En matière d’amour, d’amour de Dieu et d’amour des autres, ce qui nous est demandé nous dépasse, mais si nous comptons sur le Saint Esprit, alors nous deviendrons capables de prouesses, enfin pas nous seulement, nous avec lui ! C’est ce que disait le concile de Trente dans une formule plus théologique que mon histoire de saut à la perche : « Dieu, en te donnant la grâce, te commande de faire ce que tu peux et de demander ce que tu ne peux pas ! »

Cette publication a un commentaire

  1. Bellin

    Toujours aussi imagé et explicite surtout pour une ancienne prof de gym ! Merci !

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