25 juin : 12° dimanche temps ordinaire. Terrible erreur de traduction !

L’Evangile de Matthieu est parfaitement structuré. Puisque les 1° destinataires de son Evangile, ce sont des juifs et puisque Moïse est le personnage le plus important du judaïsme, Matthieu va présenter Jésus comme le nouveau Moïse. Pour cela, il va regrouper tous les discours de Jésus en 5 grands discours, clin d’œil aux 5 livres de la Torah, il va regrouper les miracles en 10 miracles qu’il présente les uns après les autres, clin d’œil aux 10 Paroles de vie. L’Evangile d’aujourd’hui est tiré du 2° grand discours de Jésus qu’on appelle le discours apostolique, un discours qui se situe juste après l’institution du groupe apostolique et qui est donc clairement destiné aux apôtres.

Certes, si on ne sait pas cela, on peut toujours faire une lecture immédiate du texte en lisant au 1° degré ce que dit Jésus : rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, rien n’est caché qui ne sera connu. Cela peut s’entendre comme : tout finit toujours par se savoir alors méfiance ! Les paroles prononcées dans le dos de quelqu’un finissent toujours par lui revenir aux oreilles ou encore le mal qui est fait en secret sera un jour dévoilé, rien ne restera donc impuni. Oui, on peut toujours lire le texte ainsi et ce n’est pas faux. Mais, en les adressant à ses apôtres, ceux d’hier, mais aussi ceux d’aujourd’hui, Jésus voulait donner une autre portée à ses paroles. Il voulait aborder l’épineuse question du mal auquel sont confrontés ceux qui donnent leur vie pour le service de la mission. Par 4 fois, Jésus va utiliser le mot « crainte » ou le verbe « craindre » parce qu’il a bien conscience que ses apôtres vont être confrontés au mal, un mal qui risque de leur faire peur, de les faire douter, de les décourager. Et c’est vrai que tous ceux qui s’engagent au service de la mission en font l’expérience. Certes il y a des joies et de belles joies, mais que d’épreuves aussi qui provoquent parfois la tentation de baisser les bras. Et qui provoquent surtout beaucoup d’interrogations : comment se fait-il que la vie ne soit pas plus belle, plus facile quand on se met au service du Seigneur et de sa mission qui consiste à annoncer l’Evangile de l’amour ? Pourquoi tant d’épreuves, d’oppositions, de couleuvres à avaler ?

C’était déjà à ces oppositions qui le laminaient qu’était confronté le prophète Jérémie comme nous l’avons entendu dans la 1° lecture. Dans les versets que nous avons entendus, Jérémie a traversé le plus gros de la crise dans laquelle il était plongé, une crise qui a bien failli lui faire tout abandonner. Juste avant, il disait : « tu m’as séduit, Seigneur et je le suis laissé séduire. » Jér 20,7 Entendons bien ce que Jérémie veut dire, c’est comme s’il affirmait : tu m’as bien eu et je me suis laissé avoir ! De fait, son ministère va être très difficile et s’il avait su à l’avance tout ce qu’il aurait à souffrir, c’est sûr qu’il n’aurait pas dit oui à l’appel du Seigneur. Puisque le grand prophète Jérémie l’a pensé, nous avons donc le droit de le penser, nous aussi, quand nous sommes percutés à un rythme trop soutenu par les épreuves qui volent toujours en escadrilles comme le disait le président Chirac en utilisant un langage plus fleuri ! 

Cela me rappelle ce passage du très beau livre d’Anne-Dauphine Julliand, deux petits pas sur le sable mouillé. Elle raconte qu’au cours de la préparation au mariage, le prêtre leur avait dit, sans savoir évidemment les drames qu’ils auraient à traverser, que toute vie comporte son lot d’épreuves et que, heureusement, nous ne les connaissons pas à l’avance. Si nous les connaissions, nous ne nous engagerions jamais. Et pour être très clair, il avait utilisé cette image : si on mettait devant vous la montagne de nourriture que vous allez ingurgiter au cours de votre vie, vous diriez, ce n’est pas possible, je vais en mourir si je mange tout ça ! Et pourtant, repas après repas, vous allez l’ingurgiter cette montagne ! Ainsi en va-t-il des épreuves, leur avait-il dit d’une manière assez prophétique, si elles se présentaient à nous toutes regroupées, nous pourrions en mourir de peur, mais l’une après l’autre, sans que ça soit forcément facile et immédiat, nous arriverons à les traverser et, le calme revenu, nous pourrons même dire qu’elles nous ont fait grandir. Ainsi en va-t-il pour ceux qui ont décidé de mettre le Seigneur au centre de leur vie et qui doivent souvent gérer des situations bien compliquées, traverser des épreuves qu’ils n’auraient jamais imaginé devoir traverser. C’est donc à eux que s’adressent prioritairement les paroles de l’Evangile et elles annoncent que la lumière et l’amour l’emporteront, c’est le sens des paroles : rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, rien n’est caché qui ne sera connu.

Mais en attendant que la lumière et l’amour ne l’emportent, Jésus livre aussi un très beau message d’espérance qui doit permettre à tous ceux qui affrontent un gros temps de pouvoir tenir. Hélas, la traduction liturgique ne permet pas de l’entendre ce message et je ne décolère pas contre cette traduction. Hier, dans mon homélie je citais St Thomas d’Aquin qui disait que la colère n’était pas toujours un péché, c’est même l’absence de colère qui peut devenir un péché. En effet, quand nous sommes confrontés à une injustice profonde ou témoins d’une injustice profonde, si nous ne nous mettons pas en colère, si nous ne réagissons pas, alors, là, oui, il y a du péché. J’ai donc le droit de ne pas décolérer d’autant plus que j’ai dit que c’était contre la traduction que j’étais en colère, pas contre les traducteurs … il faut éviter de se mettre en colère contre des personnes, mais contre des situations, oui, on le peut et même plus, il le faut ! Et, là, il y a de quoi être en colère car cette traduction voile le message d’espérance de Jésus !

Pour soutenir ceux qui n’en peuvent plus, Jésus va utiliser une double comparaison, celle des moineaux et celle des cheveux. Qu’y a-t-il de plus banal que des moineaux ? Qu’y a-t-il de plus banal que les cheveux ? Eh bien, nous dit Jésus, le Père du ciel a souci même des moineaux, même de nos cheveux, s’il a donc souci de ce qui est le plus banal, à combien plus forte raison aura-t-il souci des êtres humains, de tous les êtres humains. Donc, ceux qui ont choisi de mettre le Seigneur au centre de leur vie n’ont pas à craindre pour reprendre ce mot utilisé plusieurs fois par Jésus, ils n’ont pas à craindre car le Seigneur est avec eux. Oui, dit comme cela, ce n’est pas mal, mais quand vous entendez la formule utilisée dans la traduction de l’Evangile, je m’excuse, mais c’est moins bien ! Deux moineaux ne sont-ils pas vendus pour un sou ? Or, pas un seul ne tombe à terre sans que votre Père le veuille… Soyez donc sans crainte : vous valez bien plus qu’une multitude de moineaux. Qu’est-ce que c’est que cette histoire de Dieu qui voudrait que les moineaux tombent ? Pas un seul ne tombe à terre sans que votre Père le veuille. Oui, qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Est-ce Dieu qui décide qu’un moineau va mourir ? Est-ce Dieu qui décide d’envoyer des épreuves sur telle personne, sur telle communauté d’Eglise ? Comment croire que l’Evangile puisse être une bonne nouvelle en entendant de telles paroles qui présentent un Dieu aux décisions tellement arbitraires et tellement contraires à son identité affirmée : Dieu est amour ?

Le texte grec, Dieu soit loué, ne dit pas cela, il dit : pas un seul moineau ne tombe à terre sans votre Père et c’est toutIl n’est pas dit sans que votre Père du ciel ne le veuille, ce qui laisserait entendre que c’est Dieu qui décide qui va tomber, qui va en baver, qui va souffrir ! Il est dit que rien ne se fait sans que le Père ne soit présent, rien ne se fait sans votre Père, alors ça change tout. Je mets le projecteur sur deux situations contradictoires pour comprendre cette bonne nouvelle.

1° situation : Personne ne tombera dans le péché sans que le Père ne soit là avec lui, près de lui, ça veut dire que s’il s’était tourné vers le Père quand il a été assailli par la tentation, il ne serait pas tombé. C’est vraiment un formidable message d’espérance que d’entendre que le Père est capable de descendre jusque dans les bas-fonds du péché pour nous donner encore une chance de ne pas sombrer. Seulement voilà, il y a notre liberté et nous ne cherchons pas toujours la présence du Père qui nous a rejoints dans les profondeurs de nos ténèbres pour nous proposer sa main secourable.

2° situation : Personne ne subira des épreuves sans que le Père ne soit là, à ses côtés. Vous pourriez penser que c’est insuffisant, ce qui serait mieux, c’est que Dieu empêche le mal, bloque les épreuves. C’est vrai, mais c’est la grande énigme du mal, d’un mal qui s’abat sur des personnes qui ne l’ont pas mérité, un mal souvent causé par des personnes qui, comme je le disais précédemment, ont choisi de ne pas prendre la main secourable de Dieu. Mais dans ces épreuves qu’elles subissent, Jésus révèle que Dieu est là, tout proche d’elles, qu’il ne fuit pas, comme il n’a pas fui au cours de la passion de Jésus. Dans la retraite que j’ai prêché pour la semaine sainte, j’ai donné tous les indices que l’on peut trouver dans les Evangiles qui montrent la présence discrète, certes, mais bien réelle, du Père aux côtés de Jésus et c’est cette présence qui lui a donné la force de tenir. C’est de cette même présence qu’il nous accompagne dans nos épreuves.

Puissions-nous, au fond des ténèbres du péché croire à la présence du Père et saisir sa main secourable pour ne pas tomber. Puissions-nous, dans la tempête des épreuves croire aussi en la présence du Père et nous accrocher à Lui pour ne pas sombrer.

Cette publication a un commentaire

  1. Jean Marc

    « si Jésus est là, la maison tiendra » en quelque sorte.

Laisser un commentaire