29 août : 22° dimanche du temps ordinaire. Pour que ceux qui ne sont pas des lecteurs assidus du Talmud puissent comprendre !

Si parmi vous, il y en a qui ne lisent pas 10 pages du Talmud chaque matin avant de prendre leur petit déjeuner, ils seront heureux d’apprendre ce qui a pu motiver ce dialogue musclé entre Jésus et les pharisiens et les quelques scribes venus lui faire des reproches à propos du comportement de ses disciples.

Le Talmud, c’est le gros livre, mais on devrait presque, comme pour la bible, parler plutôt de bibliothèque qui collecte les commentaires de la Torah. C’est assez complexe et je suis loin d’être un spécialiste, mais j’ai lu qu’à l’intérieur du Talmud, il y avait 12 grandes sections, mais on pourrait dire 12 livres qui traitaient des questions de pureté : quand et comment devient-on impur et comment sortir de cette impureté : 12 livres pour en parler tellement c’était devenu complexe ! En effet, au fil du temps, on en était arrivé à distinguer 10 degrés d’impureté avec pour chaque degré des consignes extrêmement précises. Tout cela était donc codifié dans 12 livres du Talmud. Et ce qui est terrible, c’est que la plupart de ces prescriptions concernaient, au départ, seulement les prêtres qui devaient prendre leur service au Temple et qu’elles ont été étendues à tous et régissaient toute la vie quotidienne. Et, sortir de l’impureté, est devenu de plus en plus compliqué, il fallait, au minimum se laver les mains, seulement les mains quand on sortait d’un lieu où on avait rencontré des gens bien. Mais quand on revenait du marché, comme on avait pu frôler des personnes impures, ça ne suffisait plus, il fallait se laver jusqu’au coude. Et si on avait touché des personnes très impures, il fallait prendre des bains, mais encore fallait-il connaître la provenance de l’eau du bain car il devait absolument y avoir une certaine proportion d’eau de pluie puisque considérée comme venant directement du ciel.

L’envahissement de ces prescriptions a eu plusieurs conséquences fâcheuses et c’est pour cela que Jésus va souvent ferrailler contre les partisans de la stricte observance. Je cite 2 de ces conséquences néfastes qui obligeront Jésus à prendre position.

  • Première conséquence fâcheuse et pas des moindres, une codification si rigide, comme toutes les codifications rigides d’ailleurs, favorise l’entre-soi. En effet l’impur était encore plus contagieux que le Covid. Le pur devient impur dès qu’il est mis en contact avec l’impur alors que l’inverse n’est pas vrai. Il faut donc se méfier de tout le monde et on ne peut fréquenter que ceux pour lesquels on est absolument sûrs qu’ils respecteront bien les règles. Du coup, ceux qu’il faut absolument fuir, selon les consignes du Talmud, ce sont les « rustres » ou les ignorants si vous préférez et tous les pauvres en font forcément partie puisqu’ils sont incapables d’intégrer tous les éléments du code de bonne conduite. Les fréquenter serait, à coup sûr, contracter une impureté donc mieux vaut s’en éloigner !
  • Deuxième conséquence néfaste, les croyants finissaient par se regarder le nombril en permanence : au lieu de mobiliser toute leur énergie pour le service de la Gloire de Dieu et de leurs frères, ils passaient tout leur temps à se demander : est-ce que je suis pur ou est-ce que je ne le suis plus ? Avec de telles règles si pointilleuses, comme Jésus le dira par ailleurs, on finit par filtrer le moucheron et laisser passer le chameau ! Et c’est bien ce terrible reproche qu’il adresse à ses détracteurs dans l’Evangile d’aujourd’hui. Ils sont très préoccupés de savoir si ce qu’ils ont touché ou ceux qu’ils ont approchés étaient purs, mais en eux, ils laissent prospérer des sentiments qui les mènent à commettre des « inconduites, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure. » 

Jésus veut donc vraiment mettre un stop à cette inflation de prescriptions qui tournent les croyants vers eux-mêmes au lieu de les tourner vers Dieu et vers les autres. C’est le sens de la parole du prophète Isaïe qu’il cite : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. C’est en vain qu’ils me rendent un culte ; les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains. » Elle est dure cette parole : les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains et en plus des préceptes qui détournent de l’essentiel : le service de Dieu et des frères. 

Du coup, on comprend mieux pourquoi ce texte du Deutéronome a été choisi en 1° lecture pour faire écho à l’Evangile. « Vous n’ajouterez rien à ce que je vous ordonne, et vous n’y enlèverez rien, mais vous garderez les commandements du Seigneur votre Dieu tels que je vous les prescris. » Les scribbes et les pharisiens auraient été bien inspirés de mettre en pratique ce que contient cette parole : « Vous n’ajouterez rien à ce que je vous ordonne, et vous n’y enlèverez rien. » S’ils l’avaient fait, Jésus aurait été moins dur avec eux et surtout, eux, ils auraient eu une vie plus rayonnante. Car le texte du Deutéronome le dit bien, c’est en observant la manière de vivre des croyants que les non-croyants auront envie ou pas de se tourner vers leur Dieu. La manière de vivre des croyants doit témoigner d’un Dieu proche, miséricordieux qui prend soin de son peuple, tout autre témoignage éloignera, dégoûtera de la religion. Si Jésus ferraille aussi durement avec les scribbes et les pharisiens, c’est parce qu’il perçoit bien que leur témoignage produit l’inverse de ce que souhaitait le Deutéronome qui rêvait de voir tous les incroyants s’exclamer : « Il n’y a pas un peuple sage et intelligent comme cette grande nation ! Quelle est en effet la grande nation dont les dieux soient aussi proches que le Seigneur notre Dieu est proche de nous chaque fois que nous l’invoquons ? »

Voilà, nous pouvons toujours nous interroger, nous aussi, de ce que nous donnons à voir par le témoignage de nos vies. Notre Eglise doit toujours s’interroger face à ce qu’elle rajoute aux commandements du Seigneur, est-ce que ça conduit à plus de vie ? Est-ce que ça rend Dieu plus proche ? Est-ce que ça permet plus facilement de vivre de sa grâce ? Il ne s’agit évidemment pas de prôner le laxisme, Jésus n’a jamais été laxiste car l’amour ne fait pas bon ménage avec le laxisme, il est même d’une exigence redoutable. Il est redoutablement exigeant d’aimer sans choisir ceux que l’on aime, il est redoutablement exigeant de continuer à aimer ceux qui nous ont déçus, ça c’est pour l’amour des autres et vous pouvez rajouter l’une ou l’autre exigence que vous découvrez dans vos parcours de vie. Mais il est aussi redoutablement exigeant d’aimer Dieu quand il semble se cacher et ne plus répondre. Paul a bien vu à quelles impasses menait la stricte observance de la loi et c’est pour cela qu’il dira que « l’accomplissement parfait de la loi, c’est l’amour. » Rm 13,10. Parler ainsi, encore une fois, ce n’est pas encourager le laxisme puisqu’il ira jusqu’à donner sa vie à la suite de Jésus et par amour pour Jésus et tous ceux que Jésus lui a confiés en se rappelant de cette parole de Jésus : « Il n’y a pas de plus grande preuve d’amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Jn 15,13. Rappelons-nous bien que, faire de la stricte observance de la Loi, l’objectif de sa vie conduit, aujourd’hui comme hier, à favoriser l’entre-soi en rejetant les plus pauvres et à vivre dans le nombrilisme. Ce sont ces deux fléaux que Jésus a voulu combattre en faisant de l’amour le critère le plus essentiel pour que les croyants puissent gouverner leur vie et faire des choix cohérents. Je termine en vous citant cette parabole écrite à la manière de Péguy, parabole que vous connaissez peut-être mais que je trouve si suggestive.

Ça me tracasse beaucoup, dit Dieu, cette manie que les hommes ont de se regarder le nombril au lieu de regarder les autres. J’ai fait les nombrils sans trop y penser, dit Dieu, comme un tisserand qui arrive à la dernière maille et qui fait un nœud, comme ça, pour que ça tienne, à un endroit qu’on ne voit pas trop… J’étais trop content d’avoir fini ! L’important, pour moi, c’était que ça tienne. Et, d’habitude, dit Dieu, ils tiennent bon, mes nombrils ! Mais ce que je n’avais pas prévu, ce qui n’est pas loin d’être un mystère, même pour moi, dit Dieu, c’est l’importance qu’ils accordent à ce dernier petit nœud, intime et bien caché. Oui, de toute ma création, dit Dieu, ce qui m’étonne et que je n’avais pas prévu, c’est tout le temps qu’ils mettent, dès que ça va un peu mal, à la moindre contrariété, tout le temps qu’ils mettent à se regarder le nombril, au lieu de regarder les autres, au lieu de voir les problèmes des autres. Vous comprenez, dit Dieu, j’hésite, je me suis peut-être trompé ? Alors, si c’était à recommencer, si je pouvais faire un rappel général, comme les grandes compagnies de voitures, si ce n’était pas trop de tout recommencer, dit Dieu, je le leur placerais le nombril en plein milieu du front. Comme cela, dit Dieu, ils ne pourraient plus regarder leur propre nombril, ils seraient obligés de regarder le nombril des autres !

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