Dimanche du bon pasteur, du bon berger, mais est-ce que vous vous êtes déjà posé la question de savoir pourquoi il fallait de bons bergers ? Je vous demande cela parce que, moi-même, je ne m’étais pas posé cette question et j’ai été amené à me la poser en préparant cette homélie. S’il y a besoin de bons bergers ce n’est pas parce que de mauvais bergers donneraient une mauvaise image de la bergerie. Non, ce n’est pas le problème. S’il y a grand besoin de bons bergers c’est uniquement parce qu’il y a de bonnes brebis ! Chaque brebis est déjà infiniment précieuse, alors on imagine ce que ça donne quand on réunit toutes ces bonnes brebis si précieuses dans un même troupeau. Ce troupeau prend une valeur inestimable puisqu’il est composé de trésors additionnés ! C’est donc en raison du caractère si précieux de chaque brebis et du troupeau qu’il y a besoin de bons bergers. On n’a jamais eu l’idée de chercher des bergers et encore moins des bons bergers pour veiller sur un troupeau de hyènes ! Et ça se comprend facilement, il ne viendra à l’idée de personne d’attaquer un troupeau de hyènes. Par contre, un troupeau de belles et bonnes brebis, il va attiser la convoitise. Ce dimanche, avant d’être le dimanche du bon berger, il est le dimanche des belles et bonnes brebis !
Ces brebis, belles et bonnes, sont aussi extrêmement fragiles, voilà pourquoi Jésus veut les mettre en garde pour qu’elles ne se fassent pas avoir. Et il va développer une sévère mise en garde et, pour être sûr que les brebis ne se trompent pas, il va donner aussi quelques critères pour reconnaître à coup sûr un bon berger.
Commençons par la mise en garde. Jésus invite les brebis à être extrêmement méfiantes vis-à-vis de ceux qui escaladent. J’ai trouvé à peu près la même interprétation de cette image chez Benoit XVI et chez François. Je vous cite Benoit XVI. « Cette image « faire l’escalade » évoque l’image de quelqu’un qui grimpe sur la clôture pour parvenir, en la franchissant, là où il ne pourrait pas légitimement arriver. « Faire l’escalade » – on peut donc voir ici l’image du carriérisme, de la tentative d’arriver « en-haut », de se procurer une position grâce à l’Eglise, de se servir, et non de servir. C’est l’image de l’homme qui, à travers le sacerdoce, veut devenir important, devenir quelqu’un ; l’image de celui qui a pour objectif sa propre ascension et non l’humble service de Jésus Christ. Mais l’unique ascension légitime vers le ministère de pasteur est la croix. » C’est assez clair et on sait que Benoit XVI, comme François auront souffert de ceux qui, dans leur entourage plus ou moins proche étaient dévorés par l’ambition. D’ailleurs, François, lui, dans son langage imagé disait que les clercs qui veulent escalader se sont trompés de métier, ils auraient dû faire de l’alpinisme !
Il faut donc se méfier de ceux qui cherchent à escalader car ils se servent du troupeau pour arriver à leurs fins alors qu’ils auraient dû servir le troupeau. Le prophète Ezéchiel (ch.34), en son temps, avait fustigé ces mauvais pasteurs qui « sont bergers pour eux-mêmes au lieu de l’être pour le troupeau du Seigneur. » Et St Augustin aura aussi de sévères avertissements à l’égard de tous les mauvais bergers et c’est très beau car nous lisons ces textes à l’office des Lectures, chaque année au moment de la rentrée pastorale comme pour nous mettre en garde. C’est donc très clair, brebis, méfiez-vous de tous les carriéristes qui ne rêvent que de faire de l’escalade, en effet, si pour monter plus haut il leur faut monter sur dos avec le risque de vous écraser, ils n’hésiteront pas à le faire, ce n’est pas un problème pour eux !
Venons-en aux critères que Jésus va donner qui permettront de reconnaître les bons bergers. Dans la partie de l’Evangile que nous avons lue, Jésus met en garde les brebis contre les étrangers. Evidemment, il n’y a aucun racisme dans ce propos. Le contexte et la suite du texte quand il parlera des mercenaires nous permet de comprendre ce que Jésus veut dire. Il met en garde contre ceux qui ne sont pas liés viscéralement aux brebis, le pape François aurait dit : ceux qui ne gardent pas l’odeur des brebis sur eux parce qu’ils ne font trempette que du bout des pieds dans la communauté où ils sont envoyés. Et Jésus donne un critère pour distinguer les bons des mauvais, c’est la voix. Pas le contenu du discours, la voix. Avec le contenu, certains bergers peuvent charmer ou endormir les brebis. Mais il y a quelque chose qui ne trompe pas, c’est la voix, l’intonation de la voix, la chaleur de la voix, la familiarité de la voix. Plus que par les mots qui peuvent parfois être maladroits, ou trop habiles, c’est par l’intonation de sa voix que vous pouvez reconnaître si quelqu’un vous aime vraiment.
Enfin, il y a cette histoire de porte dont il faut bien parler et qui sera le dernier critère que j’évoquerai. Elle est quand même étonnante cette déclaration de Jésus quand il dit : Moi, je suis la porte. Pour comprendre l’expression, il faut savoir que Jésus parle, non pas de bergeries bien aménagées qui seraient attenantes à une maison, mais de ces bâtiments qu’on pourrait qualifier de refuges pour que les bêtes puissent passer la nuit en sécurité quand on les mène paître loin de la maison. Ces constructions très sommaires avaient une ouverture, mais pas de porte. Il fallait donc que le berger « fasse porte » en acceptant de dormir dans cette ouverture pour qu’aucun prédateur ne puisse rentrer et s’il y en a un qui devenait menaçant, il fallait qu’il accepte de risquer sa peau en le combattant pour sauver le troupeau. On le comprend, c’est ce que Jésus a fait pour le troupeau que le Père lui a confié. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour défendre et sauver ceux qu’on aime. Et alors, Jésus dit que le bon berger, c’est celui qui passe par cette porte, c’est-à-dire celui qui suit l’exemple du seul vrai bon berger. Donner sa vie pour ses brebis, quand on est berger, l’expression « garder sur soi l’odeur des brebis » que j’ai déjà citée peut aider à voir ce que ça signifie concrètement. En effet, quand on parle d’odeur, l’image est très suggestive et nous invite à nous éloigner de ce que nous montre l’iconographie chrétienne autour de ce texte. Nous voyons toujours un berger tiré à 4 épingles portant sur lui une belle brebis bien propre, ayant mis ses bigoudis la veille ! C’est si loin de la réalité ! Le vrai berger, c’est celui qui est tellement proche et qui a une vie tellement donnée qu’il n’hésite pas à prendre dans ses bras celle qui n’en peut plus même quand elle est bien sale et qu’elle sent mauvais. Et cela même quand c’est en dehors des heures de permanence ou quand c’est un lundi, ce jour plus saint que le dimanche pour certains prêtres parce que c’est leur jour de repos !
En plus de prier pour que les bergers deviennent de bons bergers, vous avez aussi un rôle.
-Il y a forcément interaction entre les bergers et les brebis. Ce qui veut dire que, pour une part, ce sont les bonnes brebis qui font les bons bergers. Un berger qui se retrouve dans une communauté affadie et sans élan risque bien de perdre peu à peu son enthousiasme. Un berger qui n’est pas considéré ou qui à l’inverse est idolâtré risque aussi de connaître quelques dérapages incontrôlés ! Oui, pour une part, ce sont les bonnes brebis qui font les bons bergers.
-Vous avez aussi un rôle à jouer en osant, avec le plus de charité possible, reprendre un berger qui s’égare. Rappelez-vous Catherine de Sienne, cette semaine, je vous lisais l’extrait de sa lettre dans laquelle elle faisait deux reproches très précis au pape. Elle ne manquait ni de charité, ni de respect puisqu’elle l’appelait « notre doux Christ sur la terre » mais elle a dit ce qu’elle devait dire. Il y a parfois, dans les communautés chrétiennes, des silences coupables de laïcs qui voient et ne disent pas. Le drame, c’est que lorsqu’ils disent, ils ne sont pas toujours entendus ni par le prêtre lui-même, ni par ceux qui autorité sur lui. Ces dysfonctionnements ne doivent pourtant pas nous décourager d’oser la correction fraternelle. On réfléchit beaucoup à la paternité dans les foyers et c’est nécessaire, mais que cette réflexion n’occulte pas la nécessaire réflexion sur la fraternité entre pères et membres.