Pour nous repérer dans les textes d’aujourd’hui, il nous faut raccrocher les wagons ! En effet, le mercredi 2 mars, nous quittions le temps ordinaire et de manière étonnante, je ne sais pas pourquoi la 9° semaine du temps ordinaire est passée à l’as ! Le 1° mars, avant d’entrer dans le carême, nous étions dans la 8° semaine du temps ordinaire et en sortant du Temps pascal, nous entrons dans la 10° semaine du temps ordinaire. Je ne suis pas un assez bon spécialiste de la liturgie pour expliquer cette bizarrerie ! Toujours est-il qu’il nous faut plonger sans préparation dans deux histoires bien différentes :
- L’histoire du prophète Elie que nous lirons tous ces jours en 1° lecture
- Et le fameux sermon sur la montagne que Jésus prononce après avoir proclamé les Béatitudes que nous lirons dans les Evangiles.
Pour entrer dans une meilleure compréhension des textes que nous entendrons à propos d’Elie, il n’est peut-être pas inutile de le replacer dans son contexte historique qui est assez déterminant. Elie exerçait le ministère de prophète sous le règne du Roi Achab, un bien triste paroissien, ce roi Achab ! Le livre des Rois dire de lui qu’il fit ce qui est mal aux yeux de Dieu, ça c’est une formule qui revient souvent pour qualifier les mauvais rois, mais le texte rajoute : « bien plus que tous ceux qui avaient été avant lui ! » et comme si ça ne suffisait encore pas, on lit qu’il a fait plus que tous ses prédécesseurs pour irriter le Dieu d’Israël. Il a régné de 874 à 853, c’est-à-dire que nous sommes après le schisme de 932 qui a vu la division du pays en deux : Royaume de Samarie au Nord, appelé aussi Ephraïm dans la Bible et Royaume de Juda au Sud avec Jérusalem comme capitale, appelé aussi Israël. C’était sur le Royaume de Juda que régnait Achab qui était un roi ambitieux. Il voulait donc agrandir le Royaume et c’est pour cela qu’il a cherché à faire alliance avec les puissants du moment qui pourraient l’épauler dans les conquêtes qu’il entreprendrait. Pour un roi, le meilleur moyen de nouer des alliances, c’était de se marier avec la fille d’un roi étranger puissant. C’est ce que fera Achab en épousant Jézabel, la fille du roi de Tyr, c’est-à-dire de Phénicie, le Liban actuel.
Seulement voilà, la reine Jézabel n’est pas venue seule, elle est venue avec les prêtres de sa religion qui rendait un culte aux baals. Achab aurait pu se contenter de tolérer la religion de sa femme, mais il fera beaucoup plus en la favorisant, en construisant des temples pour les baals. C’est ce qui va irriter le Seigneur et conduire Elie, le prophète qui prend fait et cause pour son Dieu à provoquer une longue sécheresse pour faire réfléchir le roi et tous ceux qui le suivaient en sacrifiant eux-mêmes aux idoles. Comme les autres, Elie va souffrir de la sécheresse, mais le Seigneur prendra soin de lui. Il sera conduit près d’un torrent, le torrent du Kerith où des corbeaux lui apporteront chaque jour à manger. C’est le texte qu’on aurait dû entendre hier, mais il y avait des textes propres pour la fête de Marie, mère de l’Eglise. Seulement voilà, au bout d’un moment, le torrent lui-même se retrouve à sec et c’est là que le Seigneur donne à Elie l’ordre de se rendre à Sarepta, précisément au pays de la reine Jézabel, pour solliciter une veuve que le Seigneur a visité et à qui il a demandé de nourrir son prophète. C’est ainsi que commençait le texte d’aujourd’hui.
On pourrait légitimement se demander pourquoi le Seigneur avait choisi une pauvre veuve pour nourrir son prophète. Il y avait sûrement des gens plus aisés qui avaient des réserves et qui pouvaient donc faire face aux conséquences dramatiques de la sécheresse. Si le Seigneur a choisi une pauvre, c’est pour trois raisons, me semble-t-il.
- La première qui est assez paradoxale mais qui se vérifie tellement souvent, c’est que les pauvres sont généreux, habituellement plus généreux que les riches, au moins en valeur absolue si on fait le rapport entre ce que chacun donne au regard de ce qu’il possède.
En Afrique, jamais un enfant qui a perdu ses parents ne sera placé dans une institution, il sera accueilli chez un oncle, une tante qui sont souvent déjà très pauvres, mais on partagera le peu qu’il y a. La première raison pour laquelle le Seigneur a choisi une pauvre veuve, c’est sa générosité à-priori, les riches sont toujours plus calculateurs. Tous ceux qui ont été en mission dans un pays pauvre pourraient en témoigner. Vous aurez remarqué que sa générosité se vérifie puisque dans le texte, elle ne dit pas non, elle ne renvoie pas Elie sur les roses en lui disant : tu es un étranger, retourne chez toi ! Elle dit juste que c’est la dernière fois qu’elle pourra manger avec son fils, après ils mourront de faim.
- La deuxième raison, c’est que le Seigneur savait qu’il allait s’adresser à une femme de Foi. Les pauvres, leur foi, c’est leur principale richesse ! C’est ce que ne cessent de chanter les psaumes et c’est pour cela qu’ils sont souvent donnés en modèle. Je me rappelle cette vieille femme très pauvre que j’allais visiter, au début de mon ministère et qui répétait toujours : c’est le Bon Dieu le maître et je n’ai pas à m’en plaindre ! Du coup, quand Elie lui demande de commencer à cuire une galette pour lui avec le peu qui lui reste, elle comprend que c’est le Seigneur qui le lui demande et donc, dans la confiance, elle répond à la demande du prophète. Elle ne lui dit pas : en provoquant la sécheresse pour punir ton roi, tu as joué avec le feu et tu nous as tous mis dans la difficulté. Elle fait confiance à l’envoyé de Dieu, sa pauvreté la garde dans l’humilité, elle s’interdit de juger les décisions de Dieu, de penser qu’elle saurait bien mieux que Dieu ce qu’il conviendrait de faire.
- La troisième raison qui a fait que Dieu a choisi une pauvre pour nourrir son prophète, c’est qu’il voulait faire du bien à cette femme et donner une leçon à tous ceux qui, par la suite, liront son histoire. Parce qu’elle aura osé la confiance, elle ne manquera jamais de l’essentiel. La parole que le prophète avait prononcé pour elle, au nom de Dieu, s’est accomplie : Jarre de farine point ne s’est épuisée, vase d’huile point ne s’est vidé, jusqu’au jour où le Seigneur a donné la pluie pour arroser la terre. Il ne nous est pas dit que cette femme est devenue riche, mais juste qu’elle n’aura jamais manqué de l’essentiel. Ceux qui, aujourd’hui encore, osent la générosité pourraient en témoigner. Ils reçoivent tellement à travers ce qu’ils donnent qu’ils ne manquent jamais de l’essentiel, c’est-à-dire de l’amour qui, seul peut donner sens à une vie. Oui, c’est encore et toujours vrai : nous devenons riches de ce que nous donnons.
Toutes ces considérations peuvent sans doute nous aider à comprendre la portée des paroles de Jésus dans l’Evangile qui, après avoir dit à ses apôtres qu’ils sont le sel de la terre et la lumière du monde, rajoute : De même, que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. C’est vrai que les personnes généreuses sont de vraies lumières et des lumières d’autant plus brillantes qu’elles ne cherchent pas à attirer les regards en donnant suffisamment de publicité au bien qu’elles font pour que nul ne l’ignore et, ainsi, recevoir des félicitations. Demandons la grâce de pouvoir être de ceux-là puisque nous allons maintenant recevoir Celui qui, de riche qu’il était s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté. 2 Co 8,9.