Nous achevons aujourd’hui notre lecture de la 1° lettre de St Jean puisque lundi, nous entrerons dans le temps ordinaire en ouvrant la lecture du livre de Samuel. Cette lecture de la lettre de St Jean nous aura permis de faire un très beau voyage au pays de l’amour fraternel. Un amour fraternel qui, nous l’aurons compris, est un amour exigeant et même très exigeant. Mais cet amour fraternel, nous le croyons, il est rendu possible par le sacrifice du Christ qui a voulu nous enfanter à la vie nouvelle en versant jusqu’à la dernière goutte de son sang pour chacun de nous. Et c’est ainsi qu’il nous a obtenu libre accès au cœur du Père qui est la source de tout amour vrai, un amour largement répandu par le Saint Esprit qui nous a été donné et que ne cesse de nous être donné. Voilà en quelques phrases, finalement la synthèse du grand mystère de la Foi, ce mystère dans lequel cette lettre de St Jean voulait faire entrer les croyants d’hier à qui il s’adressait et les croyants d’aujourd’hui qui lisent encore cette Parole et l’accueillent comme une Parole de Grâce.
De ce dernier passage de la 1° lettre de St Jean que nous venons d’entendre, je retiens deux appels : un appel à vivre la correction fraternelle et un appel à nous détourner de nos idoles. Ces deux appels, il nous faut vraiment les entendre dans le contexte général de cette lettre qui appelle à la vie fraternelle. Nous devons donc nous demander en quoi la correction fraternelle et l’abandon des idoles sont des aides précieuses voire indispensables pour la vie fraternelle.
Le 1° appel concerne donc la correction fraternelle. Voilà ce que St Jean disait : « Si quelqu’un voit son frère commettre un péché qui n’entraîne pas la mort, il demandera, et Dieu lui donnera la vie. » Pour illustrer cet appel à la vie fraternelle, on peut se servir de ce symbole de la sagesse asiatique que vous avez sans doute vu. Il s’agit de 3 singes dont chacun se cache une partie du visage : le premier se cache les yeux, le deuxième se cache la bouche et le troisième les oreilles. Pour la culture asiatique, très individualiste, dans laquelle on ne doit pas s’occuper des affaires des autres, ils représentent le sommet de la sagesse : « Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire ! » On promet à celui qui respecte ces 3 consignes une grande prospérité. Cette représentation date de 5 siècles avant Jésus-Christ ! Il y a un humoriste qui a dessiné une manière de synthétiser ces 3 singes, il a dessiné un jeune qui est sur son smartphone ! De fait, ceux qui ont toujours leur téléphone à la main, ils sont enfermés dans leur monde correspondant avec des amis très loin mais ils ne voient rien de ce qui les entoure, ils n’entendent pas ceux qui les entourent et ils ne parlent pas à ceux qui les entourent ! Eh bien, la charité chrétienne va à l’inverse de cette représentation, un chrétien digne de ce nom, c’est celui qui garde les yeux ouverts pour voir la détresse de ses frères. Il garde aussi les oreilles ouvertes pour entendre, à travers ce qui se dit et même à travers ce qui ne se dit pas, la détresse de ceux qui l’entourent. Enfin, il garde la bouche ouverte pour prononcer les paroles de compassion que celui qui va mal a besoin d’entendre.
La correction fraternelle s’inscrit dans ce mouvement. Si je vois un frère qui dérape et que je ne lui dis rien, ça veut dire que je n’aime pas ce frère. Il peut bien faire ce qu’il veut, ça m’est égal ; s’ils se perd, c’est son problème, pas le mien ! C’est vraiment contraire à toute la tradition chrétienne mais, déjà dans le Premier Testament, Dieu avait dit à Ezéchiel qu’il l’établissait comme guetteur avec mission d’intervenir auprès des méchants en train de se perdre pour essayer de les sauver. Si Dieu nous demande d’intervenir auprès des méchants, à combien plus forte raison nous demande-t-il d’intervenir auprès des frères ! Un méchant, on peut comprendre qu’on n’arrive pas à l’aimer, à se soucier de son avenir, mais vis-à-vis d’un frère, ce n’est pas pensable !
Alors, bien sûr, ce n’est pas facile d’intervenir dans ce cadre de la correction fraternelle parce que, moi qui dois intervenir, je suis au moins autant pécheur que le frère auprès de qui je dois intervenir. Ou le frère qui intervient auprès de moi est au moins autant pécheur que moi ! Mais, dans la correction fraternelle, il ne s’agit pas de faire des leçons ni de régler des comptes. C’est un frère qui, humblement, vient au-devant d’un autre frère pour lui éviter de tomber trop bas. Il faudra aussi beaucoup prier le Saint Esprit pour qu’il nous inspire les bonnes paroles à dire et le bon moment pour les dire. Dans toutes les communautés, nous devons veiller à ce qu’il y ait suffisamment d’amour et de liberté pour que cette correction puisse se faire. Et si nous voulions trouver une raison supplémentaire de pratiquer cette correction fraternelle, eh bien, relisons le chapitre 18 de l’Evangile de Matthieu qui est justement intitulé par les exégètes : le chapitre de la vie communautaire. Dans ce chapitre, c’est Jésus lui-même qui nous pousse à vivre cet exercice comme l’une des formes la plus accomplie de l’amour fraternel.
Venons-en au 2° appel qui concerne la renonciation aux idoles, ce sont les derniers mots de la lecture et ce sont les derniers mots de la lettre, c’est dire leur importance : « Petits enfants, gardez-vous des idoles. » Dans le Premier Testament, Dieu, par la bouche des prophètes, va constamment dénoncer la place envahissante que prennent les idoles. Il va s’en plaindre, il va exprimer sa souffrance parce que le fait que le peuple court après les idoles, Dieu le vit comme une infidélité conjugale. En effet, les idoles sont souvent assimilées à des prostituées avec lesquelles le peuple va commettre l’infidélité. Dieu a fait alliance avec son peuple, c’est-à-dire qu’il s’est comme marié avec son peuple, l’alliance au doigt, c’est bien le signe du mariage et le peuple ne cesse de courir après les idoles. A cette époque, les idoles, c’étaient les divinités païennes, aujourd’hui, elles ont évidemment d’autres noms. Pour les repérer, c’est très simple, il suffit de regarder ce qui dans ma vie prend trop de place et finit donc par prendre la place qui revient à Dieu, c’est-à-dire la première place. L’image du Premier Testament reste d’actualité, quelles que soient mes idoles, en me détournant de Dieu, elles sont comme des tierces-personnes avec qui je lie une relation amoureuse et que j’introduis dans le ménage que je forme avec mon Dieu. On imagine la souffrance qu’on inflige à Dieu en lui imposant la présence de ces tierces-personnes car on les lui impose puisqu’on passe moins de temps avec lui et qu’on passe plus de temps avec elles !
Alors, évidemment, tout cela ne peut avoir que des répercussions sur la vie communautaire. Que devient une communauté dans laquelle chacun impose ses idoles non seulement à Dieu, mais aussi, par ricochet, à ses frères et sœurs ! Les membres de la communauté auront forcément à souffrir de mes infidélités. La présence envahissante de mes idoles, même si je cherche à bien les cacher, aura forcément des répercussions sur l’équilibre toujours fragile de la vie communautaire.
St Jean, disciple bien-aimé, nous l’avons compris, tu as écrit cette lettre un peu sous la douce pression de Marie, notre Mère bien-aimée. Quand tu lui demandais ce que tu devais dire aux chrétiens, elle te disait : dis-leur de bien s’aimer les uns les autres ! Alors, en ce samedi, jour qui t’est consacré, nous nous tournons vers Toi, Mère bien-aimée : Intercède pour nous afin que tout ce que nous avons lu, cette semaine sous la plume de St Jean que tu as largement inspiré, nous puissions le mettre en pratique pour grandir dans l’amour fraternel.