9 mars : mercredi 1° semaine de carême. Quand les oeufs au bacon donnent des repères pour l’évangélisation !

Cette 1° lecture, elle fait vraiment partie des textes qui nous font rêver. Vous vous rendez compte une journée de prédication et Aussitôt, les gens de Ninive crurent en Dieu. Et ce n’est pas tout, même le roi se convertit et, une fois converti, il se met à soutenir l’effort de son peuple qui décide de devenir vertueux. Oui, vraiment, ça fait rêver ! 

Et pourtant, on sait bien que Jonas n’était pas allé à Ninive avec un grand enthousiasme et qu’il y était arrivé après bien des péripéties. En effet, redoutant cette mission, il était parti carrément à l’opposé du lieu où le Seigneur l’avait envoyé ce qui lui valut d’être jeté par-dessus bord du navire qu’il avait pris pour fuir. Les marins ont agi ainsi quand ils ont été persuadés que la désobéissance de Jonas était à l’origine de cette tempête qui risquait de les engloutir. Avalé par une baleine, Jonas fera une retraite de 3 jours pour avoir le temps de se réajuster au projet de Dieu. Manifestement, la retraite n’a pas été assez longue puisqu’il a accompli la mission, mais en bâclant le travail. Il fallait 3 jours juste pour traverser la ville, lui en une seule journée, il y arrive et en plus, il le fait en prêchant. Travail bâclé ! Mais, ce qui est étonnant, c’est que ça a marché et tellement bien marché que ça deviendra la campagne d’évangélisation la plus féconde de toute l’histoire, campagne réalisée avec presque pas de moyens et surtout avec un missionnaire médiocre !

Cette réussite fulgurante, dans de telles conditions, défie tous les grands principes de management dans lesquels nous apprenons que, seuls les projets conduits par des équipes motivées et véritablement impliquées peuvent réussir. Et les coachs insistent en disant que se sentir concerné par un projet ne suffit pas, il faut s’impliquer. Et pour bien nous faire comprendre la différence entre concerné et impliqué, ils donnent l’exemple des œufs au bacon dans lesquels la poule qui a fourni l’œuf s’est juste sentie concernée alors que le cochon, lui il s’est totalement impliqué ! Eh bien, Jonas, lui, il a même été moins bon que la poule, il s’est senti à peine concerné, puisqu’il avait commencé par fuir et que, ensuite, il a bâclé le travail. Et pourtant ça a marché !

Bon, mais ne nous emballons quand même pas trop vite parce que ce livre de Jonas, ce n’est pas un livre historique. On ne peut donc pas le lire pour y puiser des recettes en considérant que l’histoire va nous enseigner. Ce livre est comme une fiction littéraire qui a été inventée non pas pour nous parler de Jonas mais pour nous parler de Dieu. 

Ce livre n’est donc pas un encouragement à vivre notre mission en touriste comme Jonas en pensant que Dieu se débrouillera très bien sans nous ! Jonas, avec son côté insignifiant, n’est là que pour mieux faire ressortir Dieu et sa détermination à sauver l’ensemble de l’humanité. C’est un peu comme si Dieu nous disait : vous pourrez bien, à l’image de Jonas, me mettre autant de bâtons dans les roues que vous voulez, vous ne parviendrez jamais à attaquer ma détermination à vous aimer et à vous sauver non pas quoiqu’il en coute mais quoiqu’il m’en coute, ça c’est plus engageant ! 

La suite du livre de Jonas avec cette merveilleuse histoire de la mort d’un arbuste provoquant la colère de Jonas vient bien confirmer cette lecture. Dieu donne une leçon à Jonas : tu n’as rien fait pour cet arbre et sa mort te révolte et moi, je ne devrais pas être révolté devant ce peuple qui, à cause de sa conduite mauvaise, court à sa perte ? C’est donc bien clair, le livre de Jonas parle d’abord de la détermination de Dieu à sauver les hommes, une détermination que rien, ni personne, ne pourra jamais entamer.

Du coup, nous nous mettons à rêver : quand nous voyons ce que Dieu a été capable de faire avec un aussi médiocre missionnaire que Jonas, quelles merveilles il pourrait accomplir avec une armée de missionnaires enflammés de zèle ! La puissance de Dieu serait décuplée. 

Nous ne pouvons donc pas invoquer le livre de Jonas pour justifier notre médiocrité en nous disant : puisque Dieu est puissant, puisqu’il réussit avec des missionnaires médiocres, inutile de s’en faire ! C’est pour cela que, si j’avais participé à l’élaboration du lectionnaire liturgique, j’aurais proposé comme psaume de méditation pour aujourd’hui, le très beau psaume 80 qui nous fait entendre le désir de Dieu de trouver des collaborateurs impliqués : Ah ! Si mon peuple m’écoutait, Israël, s’il allait sur mes chemins ! Aussitôt j’humilierais ses ennemis, contre ses oppresseurs je tournerais ma main. Mes adversaires s’abaisseraient devant lui ; tel serait leur sort à jamais ! Oui, bien sûr, avec des médiocres, Dieu peut quand même réussir, mais avec des bons, ça serait encore autre chose !

Peut-être que tout ce que je viens de dire pourrait expliquer la colère de Jésus dans l’Evangile. Parce que vous en conviendrez, les paroles de Jésus ne sont pas tendres : Cette génération est une génération mauvaise ! On a connu Jésus avec des paroles plus sympas ! Pourquoi déclare-t-il que cette génération est mauvaise ? Parce qu’elle cherche un signe. Voilà ce qui met Jésus en pétard. C’est-à-dire que les gens se reposent sur Dieu : s’il veut convertir, qu’il montre sa puissance en envoyant des signes manifestes venus du ciel, des miracles à tire larigot, des prodiges étonnants et nous pourrons recueillir des conversions à la pelle !

Eh bien, non, dit Jésus. Certes, Dieu restera toujours bien déterminé à sauver les hommes, mais il veut le faire, comme au temps de Jonas, par le moyen de la prédication. C’est comme si Jésus disait : Les gens de Ninive ont été touchés par la prédication puissante de ce prophète médiocre qu’était Jonas, alors, vous, est-ce que vous allez vous laisser toucher par ma prédication ? Est-ce que votre cœur va enfin s’ouvrir ?  Et Jésus insiste, la reine de Saba a été touchée par la prédication pleine de sagesse de Salomon, mais il y a ici bien plus que Salomon. Les habitants de Ninive ont été touchés par la prédication de Jonas avec toutes les limites du bonhomme et il y a ici plus que Jonas ! Finalement, Jésus entonne la même lamentation que Dieu, son Père : Au lieu de demander des signes, des miracles, si mon peuple m’écoutait ! 

Pourtant, devant toutes ces difficultés qui le mettent en pétard, Jésus ne renoncera pas. Il va même se proposer d’aller plus loin pour que le projet d’amour du Père puisse se réaliser. Jamais Jésus ne se contentera de se sentir simplement concerné en disant : je vais faire ce que je peux ! Non, il va s’impliquer totalement en donnant sa vie. Et ce don sera à l’origine d’une fécondité étonnante. A la croix, il n’y avait presque plus personne, et aujourd’hui, il y a des chrétiens dans le monde entier. Quelle fécondité ! La suite de l’histoire de l’Eglise l’a démontré : partout où des chrétiens ont accepté de s’impliquer totalement en donnant leur vie, ils ont été source de fécondité. C’est la fameuse formule de Tertullien : le sang des martyrs est une semence de chrétiens.

A l’heure où, dans l’Eglise, beaucoup sont tentés de chercher des recettes qui marchent pour renouer avec le succès dans l’évangélisation, ces textes nous rappellent la seule méthode qui porte en elle non pas le succès mais la fécondité. Rien de fécond ne peut advenir sans des chrétiens impliqués, c’est-à-dire des chrétiens qui acceptent de se donner totalement. La détermination de Dieu à sauver le monde reste entière, il ne manque que des missionnaires vraiment impliqués. C’est bien ce que demande le pape François en appelant les baptisés, tous les baptisés à sortir de la tiédeur, de la mondanité pour devenir d’authentiques disciples-missionnaires. Ah ! Si mon peuple m’écoutait ! Les baptisés, s’ils allaient tous sur mes chemins ! Aussitôt j’humilierais leurs ennemis, contre leurs oppresseurs je tournerais ma main. Mes adversaires s’abaisseraient devant eux ; tel serait leur sort à jamais ! Que l’Esprit-Saint nous éclaire pour voir ce que nous aurions repris dans le don de nous-mêmes et qui fait que, aujourd’hui, nous nous sentons plus concernés qu’impliqués.

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