9 novembre : Dédicace de la basilique du Latran, mère et tête de toutes les Eglises. L’Eglise est ma passion … aux 2 sens du mot !

Il y a un vrai télescopage entre l’actualité et la liturgie ! D’une part, nous sommes encore sous le choc des révélations faites par Mgr Eric de Moulins-Beaufort à Lourdes, révélations qui se précisent avec les jours et qui, hélas, ne font qu’alourdir le climat. Et d’autre part la fête de la dédicace de la Basilique du Latran à Rome. La Basilique du Latran est la cathédrale de l’évêque de Rome, donc du Pape, à ce titre elle est considérée comme « mère et tête de toutes les églises du monde » selon le titre officiel qui lui revient. Ce n’est donc pas une fête anecdotique au cours de laquelle nous ferions juste mémoire de l’anniversaire de sa consécration. Non, cette fête nous tourne vers le Mystère de l’Eglise, cette Eglise que Jésus a instituée pour qu’elle puisse distribuer largement toutes les grâces acquises pour l’humanité par son mystère pascal.

Pour méditer sur le Mystère de l’Eglise, heureusement, la liturgie n’avait pas prévu de nous faire entendre la lecture de l’Apocalypse qui nous fait contempler l’Eglise comme la Jérusalem céleste descendue du ciel, toute parée comme une fiancée pour son fiancé ! Ap 21,2 Non, les lectures collent plutôt à l’actualité dans laquelle il nous faut célébrer cette fête de l’Eglise. La 1° lecture de Paul comportait cette sévère mise en garde : que chacun prenne garde à la façon dont il contribue à la construction. Quant à l’Evangile, il nous présentait Jésus purifiant avec un fouet le Temple, préfiguration de l’Eglise. La purification continue, ce n’est plus avec un fouet que le Seigneur agit, mais avec une scie. Il est en train de scier toutes les belles branches auxquelles nous étions heureux de nous accrocher pour que nous n’ayons plus qu’une solution : nous accrocher au tronc !

Depuis, un certain temps, la purification était passée à la vitesse supérieure et là, elle s’accélère encore. Mais du coup se pose une question sérieuse pour un certain nombre de personnes et je l’ai lue dans pas mal de réactions : après tout ce que nous venons de vivre, peut-on encore faire confiance à l’Eglise, peut-on encore professer notre foi en la sainteté de l’Eglise comme nous y invite le Credo ? En cette fête liturgique qui nous tourne vers le mystère de l’Eglise et qui nous oblige à y réfléchir dans ce contexte lourd, c’est à cette question que j’aimerais tenter de répondre dans cette homélie. Permettez-moi de commencer par une invitation à faire une distinction salutaire et ensuite, je réfléchirai à ce que nous disons quand nous professons la sainteté de l’Eglise.

Quand nous parlons de tous les problèmes auxquels l’Eglise est confrontée, il nous faut impérativement distinguer « péché » et « délit » sachant que les délits peuvent aller jusqu’au crime puisque, je le rappelle, selon la nature des faits, l’abus sexuel peut être qualifié de crime par le code pénal car le viol est bien plus large que le rapport sexuel stricto-sensu. C’est pourquoi, il serait temps d’arrêter de parler de conduite inappropriée pour désigner des gestes, des actes qui, parfois, peuvent être des crimes. C’est gravement irrespectueux à l’égard des victimes et irresponsable du point de vue des auteurs d’abus que de continuer à utiliser ce vocabulaire qui cherche à atténuer la gravité du délit ou du crime en le réduisant à un simple péché dû à la faiblesse humaine. 

Ce n’est pas pour rien que les évêques ont mis en place une commission de reconnaissance et de réparation ; reconnaissance car les faits ont besoin d’être qualifiés le plus justement possible. C’est essentiel pour la reconstruction des victimes, mais c’est aussi essentiel pour les auteurs de délits et de crimes. La première étape qui permet d’acter une marche vers le repentir, c’est ce que le psalmiste dit : Moi, mon péché, je le connais (ou je le reconnais), ma faute est toujours devant moi ! Ps 50,5. Que les fauteurs arrêtent donc de parler de gestes inaprropriés. D’ailleurs, il serait même souhaitable de ne plus parler d’abus ni sexuels, ni spirituels car le terme « abus » est ambigu, il laisse entendre que la personne coupable a dépassé les bornes mais que, si elle avait été un peu moins loin, ça aurait pu être acceptable. Non ! 

Puisqu’il nous faut distinguer péché d’une part et délit ou crime d’autre part, je veux commencer par regarder les conséquences de nos péchés sur le Mystère de l’Eglise. Nos péchés salissent l’Eglise, rendent son témoignage moins limpide. Je ne veux pas dire que ce n’est pas grave car chaque péché revêt une forme de gravité. Mais c’est la condition humaine que nous partageons tous et nous participons tous, plus ou moins fortement, plus ou moins gravement à ces péchés.

Ils enlaidissent l’Eglise mais ils ne l’empêchent pas, fondamentalement, de transmettre la grâce. Pour illustrer ce propos, j’aime citer cette parole d’Erasme, le grand humaniste, dans un dialogue qu’il a eu avec Luther. Luther lui demandait comment il faisait pour rester dans l’Eglise alors qu’il était habité par de si grands idéaux. Et on sait que l’Eglise de l’époque n’était pas jolie jolie ! Voilà la réponse d’Erasme : « Je supporte cette Église dans l’attente qu’elle devienne meilleure, étant donné qu’elle aussi doit me supporter en attendant que je devienne meilleur ! »C’est magnifique et nous pouvons tous le dire, nous tous qui sommes pécheurs.

Ça, c’était pour le péché, mais avec les délits commis en son sein et pire les crimes, il en va autrement, surtout quand ces délits et ces crimes sont commis par des personnes ayant une responsabilité pastorale. Avec les délits et les crimes, il ne s’agit plus d’Eglise salie, de témoignage terni, les délits et les crimes vont défigurer, blesser l’Eglise durablement. Une maison sale, c’est une chose, une maison qui n’est pas sûre, c’est tout autre chose, la gravité n’est pas du même ordre, les risques ne sont pas les mêmes. Et, bien plus grave encore, ces délits et ces crimes vont empêcher certaines victimes de pouvoir se tourner encore vers l’Eglise pour recevoir les grâces que Jésus lui a confiées, la chargeant de les distribuer généreusement par les sacrements. Les témoignages qu’on peut lire dans le recueil de victimes à témoins qui accompagne le rapport de la Ciase sont douloureusement éloquents de ce point de vue.

Ces précisions étant données, que dit-on exactement quand nous professons que l’Eglise est sainte ? Nous le savons bien, il ne faut jamais confondre perfection et sainteté. Un saint est un pécheur qui, conscient de sa pauvreté, se tourne vers Dieu qui seul pourra le parfaire. Eh bien, il en va un peu de même pour l’Eglise, dire qu’elle est sainte, ce n’est pas dire qu’elle est parfaite, en professant l’Eglise sainte nous la reconnaissons en même temps salie, défigurée, blessée.

Regardons ce que dit le Catéchisme de l’Eglise Catholique sur le sujet. Je ne peux pas tout citer, je me contente du N° 827 : Tandis que le Christ saint, innocent, sans tache, venu uniquement pour expier les péchés du peuple, n’a pas connu le péché, l’Église, elle, qui renferme des pécheurs dans son propre sein, est donc à la fois sainte et appelée à se purifier, et poursuit constamment son effort de pénitence et de renouvellement  » (LG 8 ; cf. UR 3 ; 6). Tous les membres de l’Église, ses ministres y compris, doivent se reconnaître pécheurs (cf. 1 Jn 1, 8-10). En tous, l’ivraie du péché se trouve encore mêlée au bon grain de l’Évangile jusqu’à la fin des temps (cf. Mt 13, 24-30). L’Église rassemble donc des pécheurs saisis par le salut du Christ mais toujours en voie de sanctification. Le texte cherche à tenir, dans un équilibre toujours périlleux, le fait que l’Eglise est sainte car sanctifiée par le Christ qui l’a aimée et s’est livré pour elle et le fait qu’elle est composée de pécheurs. On pourrait donc dire qu’en professant l’Eglise sainte, nous rappelons qu’elle l’est en sa source, le Christ, qu’elle l’est dans sa mission qui consiste à offrir les moyens de sanctification mais qu’elle ne l’est pas forcément dans son état actuel, quand on fait une photo à l’instant « t » !

Le risque, nous le comprenons bien, c’est que, avec tous ces scandales, un certain nombre de personnes se détournent d’elle et ça a commencé. Alors, bien sûr, le Seigneur a plus d’un tour dans son sac et il saura comment rejoindre ceux qui prennent leur distance pour leur offrir, autrement, par d’autres canaux plus directs, des moyens de sanctification. Evidemment, l’idéal serait que nous puissions tous réagir avec le réalisme d’Erasme qui est sans illusion sur l’Eglise mais aussi sans illusion sur lui et les autres chrétiens : « Je supporte cette Église dans l’attente qu’elle devienne meilleure, étant donné qu’elle aussi doit me supporter en attendant que je devienne meilleur ! »

En conclusion, j’aimerais rappeler cette parole d’un théologien, spécialiste de la réflexion sur l’Eglise qui fut mon patron de mémoire, le père Bruno Chenu, il aimait dire : l’Eglise est ma passion. Et il ajoutait que le mot passion en français a un double sens. En disant l’Eglise était sa passion, il disait donc que l’Eglise le faisait régulièrement souffrir, mais que c’était aussi pour l’Eglise qu’il était résolu à donner sans cesse le meilleur de lui-même. En ce jour où nous prions tout particulièrement pour l’Eglise qu’il nous soit donné, à chacune et à chacun, de pouvoir dire : l’Eglise est ma passion … aux deux sens du mot !

Cette publication a un commentaire

  1. Franchellin Jean Marc et Agnès

    J’aime bien : s’accrocher au TRON « 

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