A la teneur des lectures, nous sentons bien que nous avançons dans le temps du carême et que nous entrons peu à peu dans les événements qui conduiront Jésus à sa passion.
La 1° lecture nous introduisait déjà dans les prémices de ce drame en nous expliquant que, de tout temps, les justes ont eu des problèmes. Alors que tout le monde devrait prendre exemple sur eux, sur ce qu’ils disent, sur ce qu’ils font, c’est l’inverse qui se produit. Le juste dérange, il mène une vie en dehors du commun, sa conduite est étrange, disait la lecture. La conclusion est rapide : supprimons-le puisque, si ce qu’il dit est vrai, Dieu l’assistera d’une manière ou d’une autre, nous ne prenons donc aucun risque en cherchant à l’éliminer !
Tout cela, Jésus l’avait bien perçu puisque l’Evangile nous faisait part de ses hésitations à monter à Jérusalem pour la fête des Tentes. C’est ce détail qui a particulièrement retenu mon attention. On sent bien que Jésus est en difficulté parce que cette fête des Tentes faisait partie des fêtes d’obligation : tout juif valide était tenu de monter à Jérusalem. Oui, mais, il y a ces menaces qui deviennent de plus en plus explicites depuis son miracle à la piscine de Bethesda sur lequel nous avons médité ces derniers jours. N’oublions pas que, dans cet épisode, il était dit explicitement que les juifs cherchaient à le tuer. (5,18)
`Alors une question se pose : Jésus aurait-il eu peur ? Comme Fils de Dieu, avait-t-il le droit d’avoir peur ? Je ne sais pas comment vous répondriez à cette question et je ne sais même pas si vous oseriez vous poser cette question !
Pour comprendre l’état d’esprit dans lequel pouvait se trouver Jésus, il est bon de se rappeler que quelques versets auparavant, il venait de vivre une épreuve terrible. A la suite de la multiplication des pains et de la catéchèse eucharistique qui suivait, l’évangile nous dit : Beaucoup de ses disciples, qui avaient entendu, déclarèrent : « Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? » … Et à partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de l’accompagner. (6,60,66) C’est un moment de crise terrible, Jésus a forcément été touché par ces défections. Il avait dû poser la question de confiance à ses disciples : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » Et nous savons comment Pierre répondra à cette question : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. »
Je pense qu’il faut prendre au sérieux tous ces événements et la répercussion qu’ils ont pu avoir sur Jésus qui était un homme, un homme véritable. Il a dû être profondément remué en voyant partir un certain nombre de ceux qui s’étaient mis à le suivre, à la suite des 12. Dès lors il ne faut pas s’étonner que Jésus entre dans un processus de crise. A ce sujet, je vous rappelle que le mot crise, étymologiquement, évoque l’obligation de choisir de se décider après discernement. Dans ce sens, il n’est donc pas iconoclaste de dire que Jésus est en crise, c’est-à-dire qu’il se retrouve confronté à un choix compliqué : monter à Jérusalem pour observer cette fête de pèlerinage ou rester en Galilée ? En effet, en Galilée, il était beaucoup moins contesté, c’est à Jérusalem que se cristallisaient les oppositions les plus violentes. Je pense vraiment que nous ne gagnons jamais rien à édulcorer l’humanité de Jésus.
En lisant le texte de près, on voit bien que Jésus va mettre un certain temps à sortir de cette crise, c’est-à-dire à pouvoir décider, il le fera d’ailleurs en deux temps.
- 1° temps, il décide d’aller malgré tout à Jérusalem, mais plutôt en cachette.
- Et 2° temps, il se décide à aller au Temple, ce qui était une nécessité pour cette fête, ce qui l’obligera donc à se montrer.
Je trouve assez touchant de constater qu’il lui faudra quelques jours pour prendre cette décision de ne pas rester comme caché à Jérusalem. Le texte nous disait : On était déjà au milieu de la semaine de la fête quand Jésus monta au Temple. Quand nous n’édulcorons pas l’humanité de Jésus, alors ce que nous lisons dans l’Evangile peut nous soutenir quand, nous-mêmes, nous traversons des moments de crise, quand nous sommes dans l’indécision.
Dans ces moments, nous pouvons vraiment nous tourner vers Jésus en nous rappelant cette magnifique parole de la lettre aux Hébreux : « En Jésus, nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses, mais un grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance, excepté le péché. » Vous avez bien entendu : parce qu’il a été éprouvé en toutes choses, il peut compatir à nos faiblesses. Plus nous nous rapprocherons des jours saints et plus nous aurons l’occasion de méditer sur cet aspect si étonnant de notre foi et en même temps si merveilleux : Jésus peut compatir car, hormis le péché, il a tout connu des crises que nous pouvons connaître, comme nous, il a été déstabilisé, secoué, affecté par ces crises. Mais évidemment, lui, il saura rester fidèle et c’est donc sur sa victoire qu’il nous faut nous appuyer quand nous-mêmes, nous nous sentons perdus.
Par l’intercession de Notre Dame de Laghet, demandons la grâce de la lucidité quand nous traversons des crises. Qu’elle nous aide à crier vers le Seigneur puisqu’il n’est pas incapable de compatir à nos faiblesses.