Homélie 18° dimanche 4 août 2019

J’aimerais vous parler un peu plus de la 1° lecture, ce n’est pas habituel chez moi, je commente d’habitude plutôt l’Evangile. Peut-être qu’une précision de vocabulaire s’impose parce que le titre de ce livre dont est extrait la 1° lecture peut varier selon les Bibles. Le lectionnaire dit que c’est le livre de Qohèleth, certaines Bibles parlent du livre de l’Ecclésiaste qu’il ne faut pas confondre avec le livre de l’Ecclésiastique appelé aussi le livre de Ben Sirac ou le Siracide ! On peut tout à fait vivre sans savoir cela par cœur, mais parfois, avoir quelques idées plus claires, ça peut aider !

Ce livre de Qohèleth, ce n’est pas le livre à offrir à une personne déprimée à qui vous rendriez visite ! En effet, tout le livre est un peu sur le ton du passage que nous avons entendu : Vanité des vanités, tout est vanité ! Et vous avez sans doute déjà entendu cette traduction que certains préfèrent qui respectent mieux le texte hébreu : buée de buées, tout n’est que buée ! La buée, c’est vraiment fugitif, ça disparait aussi vite que c’est venu et ça ne sert pas à grand-chose ! Eh bien voilà comment Qohèleth résume la vie : buée de buées, tout n’est que buée ! Et la suite du texte, on pourrait la résumer ainsi : à quoi bon se décarcasser puisqu’au bout du compte, il nous faudra laisser notre place à quelqu’un qui profitera sans reconnaissance de tout ce que nous avons pu réaliser, enfanter dans la douleur. Vous comprenez pourquoi je disais que ce n’est pas forcément le livre à offrir à une personne déprimée !

Mais nous qui ne sommes pas déprimés, il nous faut écouter ce texte et nous demander quel message le Seigneur veut nous adresser. Si ce texte a été retenu dans la Parole de Dieu, ce n’est pas pour nous déprimer, pour nous rendre indifférents à ce que nous vivons en pensant que, finalement, rien ne vaut que nous nous engagions vraiment. Je crois que ce texte, par son style provoquant, vient nous réveiller pour que nous nous interrogions : ce à quoi je tiens, est-ce que c’est vraiment solide ou est-ce que, telle la buée, ça disparait sans laisser de traces ? On peut formuler cela de manière un peu plus percutante encore : est-ce que ce à quoi je tiens vraiment, c’est vraiment ce qui me fait tenir ?

Demandons au St Esprit de projeter sa douce lumière de vérité pour que nous puissions prendre vraiment conscience de ce à quoi nous tenons, mais attention pas de ce à quoi nous tenons et que nous formulons dans de belles paroles, non ! Ce sont mes choix concrets qui manifestent ce à quoi je tiens vraiment, à quoi je donne du temps ? Ou alors est-ce qu’il y a des choses pour lesquelles, quand on les touche, je ne supporte pas, je me mets en colère, au moins intérieurement ? Vous le voyez, il y a plusieurs méthodes pour mettre en évidence ce à quoi nous tenons vraiment. Jésus, dans l’évangile, ce n’est pas l’évangile d’aujourd’hui, mais c’est un texte qui parle aussi des richesses dit : là où est ton trésor, là aussi est ton cœur. Cette phrase est redoutable parce qu’elle vient débusquer toutes nos idoles. Tu dis que tu aimes le Seigneur, mais à qui, à quoi tu accordes le plus de temps dans ta journée ? Là où est ton trésor, là aussi est ton cœur ! Et c’est là que nous pouvons reprendre l’interrogation que je formulais à propos de ce passage de Qohèleth : est-ce que tu es sûr que ce à quoi tu tiens le plus, c’est vraiment ce qui fait tenir dans la vie ?

Mais entendons-nous bien, le Seigneur ne nous invite pas à cette opération vérité pour nous culpabiliser, pour nous faire honte en disant : tu parles beaucoup de moi, mais finalement tu es hypocrite et ingrat car tu ne tiens pas tant que ça à moi, alors que c’est moi qui te fais tenir ! Non, si le Seigneur nous invite à cette opération vérité, c’est pour nous libérer, nous libérer de la tyrannie de certaines idoles auxquelles nous sommes trop attachés, nous libérer de déceptions qui pourraient, pour le coup, nous plonger dans la déprime, au moins la déprime spirituelle qui se traduira par une médiocrité acceptée. Reprenons chacun de ces deux éléments tyrannie et déception.

Les idoles que nous pouvons avoir sont toujours tyranniques. Elles nous attirent et ensuite, quand nous commençons à être attachées à elles, elles vont nous faire payer très cher les promesses qu’elles ont su faire pour nous attirer et qu’elles ne sont même pas capables de tenir ! Je ne sais pas si vous connaissez ce passage des Confessions dans lequel St Augustin raconte ses longues hésitations pour entrer dans une vie nouvelle en se débarrassant de la tyrannie de l’idole de la sensualité qui pourrissait sa vie. Je vous lis, c’est très beau :        

Il s’agit de céder sa liberté à Dieu, en lui disant :  » Pour toute chose, quelle qu’elle soit, je te dis oui !  » Le vieil homme réagira. Il dira de toutes ses forces: « Tout, mais pas ma liberté !  » Je m’accusais moi-même plus âprement que jamais, je me retournais et me débattais dans ma chaîne jusqu’à ce que je puisse la briser tout entière. Elle ne me retenait qu’à peine, elle me retenait pourtant… Dans mon for intérieur, je me disais : “A l’œuvre, plus de retard, plus de retard.” Ces paroles m’entraînaient à la décision. J’étais sur le point d’agir et je n’agissais pas. Après un nouvel effort, j’y étais, il ne s’en fallait plus que de peu, oui de peu, je touchais au but, je le tenais, et voilà que je n’y étais pas, que je ne touchais pas au but, que je ne le tenais pas hésitant à mourir à la mort, à vivre de la vie. Le mal invétéré avait plus de prises sur moi que le bien dont je n’avais pas l’habitude ; et, plus approchait le moment où j’allais devenir un autre homme, plus il me frappait d’effroi, sans pourtant me faire revenir sur mes pas ni me détourner de mon chemin : il me tenait seulement en suspens.

Ce qui me retenait, c’étaient des bagatelles de bagatelles, des vanités de vanité, mes anciennes amies : elles me tiraient par mon vêtement de chair en murmurant : “Tu nous renvoies ? Dès ce moment, nous ne serons plus jamais avec toi, et dès ce moment tu ne pourras plus faire ceci ou cela, plus jamais ?” Et ce qu’elles me suggéraient dans ce que je viens d’appeler ceci et cela, ce qu’elles me suggéraient, mon Dieu ! Que votre miséricorde en écarte la pensée de l’âme de votre serviteur ! Quelles saletés ! quelles hontes, ces suggestions ! Elles me retardaient toutefois, car j’hésitais à m’arracher d’elles, à m’en défaire pour répondre à l’appel qui m’attirait, et la tyrannique habitude me disait : “Crois-tu que tu vas pouvoir vivre sans elles ? ”  (Confessions, VIII, 11)

Si le Seigneur a montré à Augustin cette tyrannie de la sensualité dans sa vie, ce n’était pas pour le culpabiliser, mais pour le libérer car il avait perdu sa liberté et souffrait de plus en plus de devoir porter le poids de ces chaines. Il en va de même avec nous même si nous pouvons avoir bien d’autres idoles tyranniques que la sensualité ! Est-ce que tu es sûr que ce à quoi tu tiens le plus, c’est vraiment ce qui fait tenir dans la vie ? Si le Seigneur nous pose cette question, c’est pour que nous ouvrions les yeux sur la tyrannie de certaines de nos idoles et c’est parce qu’il veut nous en libérer, nous aider à retrouver notre liberté.

Mais j’ai aussi parler de déception qui pourrait nous plonger dans la déprime. Si ce à quoi nous tenons vraiment n’a pas plus de consistance que de la buée, nous serons forcément déçus quand la buée disparaitra et elle disparait toujours plus vite qu’on ne le voudrait ! Dans l’évangile, cet homme qui a tout misé sur la réussite, c’est de la buée. La maladie puis la mort se profilent et tout s’écroule, la buée disparait ! Celui qui a tout misé sur la santé risque aussi d’être déçu cf. les vœux de bonne année : surtout la santé ! Bien sûr que la santé est importante, mais ça ne fait pas tout, il y a des gens en bonne santé qui sont tristes et des personnes handicapées qui sont profondément épanouies ! Et s’il n’y a que la santé qui compte comme on le dit dans ces vœux, comment continuer à vivre avec la maladie, le grand âge ? Vraiment la question est pertinente : Est-ce que tu es sûr que ce à quoi tu tiens le plus, c’est vraiment ce qui fait tenir dans la vie ?

Je termine en disant qu’il est essentiel que ceux qui ont voulu miser leur vie sur autre chose que de la buée, ceux qui ont misé leur vie sur l’amour et bien évidemment sur Jésus puissent donner le témoignage d’une vie épanouie, pas forcément facile tous les jours, mais profondément heureuse puisque Celui à qui nous tenons le plus, est vraiment celui qui nous fait tenir. St Esprit nous t’appelons car nous connaissons nos pauvretés, nos inconstances, nous avons tellement besoin de toi pour donner ce témoignage qui pourra attirer à Jésus tous ceux qui auront fait l’expérience que tout est vanité sauf l’amour.

Cette publication a un commentaire

  1. Jean-Marc Franchellin

    Merci père Roger pour cette belle homélie, qui nourrit ma foi.
    Nous sommes ces millions de brindilles qui entretenons le feu du St Esprit.
    EN communion de prière jean-Marc et Agnès

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