Journée pour Dieu – Dinard 11 Août 2022 A l’école de Ste Claire pour accueillir joyeusement notre pauvreté

Introduction : Nous fêtons Ste Claire !

Comme vous le savez, dans la maison qui vous accueille St François et donc Ste Claire tiennent une belle place puisque la maison s’appelle « Maison St François. » Elle était, en effet, tenue par des capucins, disciples de St François jusqu’à ce qu’elle soit reprise par les Foyers de Charité qui ont voulu garder le nom et plus que le nom en gardant bien présent l’esprit qui animait St François et Ste Claire. Je les lie tous les deux car il n’est pas possible de parler de St François sans parler de Ste Claire comme il n’est pas possible de parler de St François de Salles sans parler de Ste Jeanne de Chantal ou encore de St Vincent de Paul sans parler de Louise de Marillac. J’aime bien dire que derrière chaque grand homme il y a une femme qui se cache et qui lui a permis de devenir ce qu’il a été et de réaliser tout ce qu’il a réalisé !

Je vais donc commencer à présenter Ste Claire et ensuite je parlerai de cette pauvreté que Claire et François voudraient nous apprendre à accueillir joyeusement.

1. Claire Offreduccio di Favarone dite Claire d’Assise 

16 juillet 1194 – 11 août 1253 François : 1° janvier 1181 ou 82 – 3 octobre 1226

De manière assez paradoxale, on a plus d’éléments historiques, biographiques fiables que pour François, notamment à cause des éléments de son procès de béatification. Celui de François a été moins instruit puisque sa sainteté éclatait tellement !

1.1 Une fascination qui commence très jeune

Claire appartenait à une riche famille aristocratique. Très jeune, vers l’âge de 16 ans, elle veut renoncer à la noblesse et à la richesse pour vivre dans l’humilité et la pauvreté, en adoptant la forme de vie que François d’Assise proposait. Mais ses parents avaient d’autres projets pour elle, ils avaient prévu un mariage avec un personnage très important. A l’âge de 18 ans, Claire va contrarier leur projet puisque, dans un geste audacieux pour l’époque, poussé par son admiration sans limite pour François, elle quitte la maison paternelle. En compagnie d’une amie, Bona de Guelfuccio, elle rejoint en secret les frères mineurs dans la petite église de la Portioncule. C’était le soir du dimanche des Rameaux de l’an 1211. Dans l’émotion générale, un geste hautement symbolique va être accompli : tandis que ses compagnons tenaient entre les mains des flambeaux allumés, François lui coupe les cheveux et revêt Claire d’un habit de pénitence en toile rêche. A partir de ce moment, elle devint l’épouse vierge du Christ, humble et pauvre, et se consacra entièrement à Lui. 

Au début de son expérience religieuse, Claire trouva en François d’Assise non seulement un maître dont elle pouvait suivre les enseignements, mais également un ami fraternel. Et l’amitié entre eux va constituer un très bel exemple. Les auteurs spirituels sont unanimes, lorsque deux âmes pures et enflammées par le même amour pour le Christ se rencontrent, elles tirent de leur amitié réciproque un encouragement très profond pour parcourir la voie de la sainteté. L’amitié devient l’un des sentiments humains les plus élevés que la Grâce divine va purifier et transfigurer. Il est intéressant de lire ce qu’écrira François de Sales sur le sujet : « Il est beau de pouvoir aimer sur terre comme on aime au ciel, et d’apprendre à s’aimer en ce monde comme nous le ferons éternellement dans l’autre. Je ne parle pas ici du simple amour de charité, car nous devons avoir celui-ci pour tous les hommes ; je parle de l’amitié spirituelle, dans le cadre de laquelle, deux, trois ou plusieurs personnes s’échangent les dévotions, les affections spirituelles et deviennent réellement un seul esprit. » (Introduction à la vie de dévotion, III, 19). Il est évident que, dans ces lignes, il parle de sa propre amitié avec Jeanne de Chantal et ces lignes sont tout à fait applicables à l’amitié unissant François et Claire.

1.2 Les débuts d’une nouvelle communauté

Après avoir passé une période de quelques mois auprès de communautés monastiques, Claire résiste toujours aux pressions de sa famille qui, au moins au début, n’approuve pas son choix. Elle s’établit donc avec ses premières compagnes dans l’église Saint-Damien où les frères mineurs avaient préparé un petit couvent pour elles. Elle vécut dans ce monastère pendant plus de quarante ans, jusqu’à sa mort, survenue en 1253. Claire a été très sensible à la radicalité de la pauvreté prêchée par François qu’il associait à une confiance totale dans la Providence divine. C’est pour cette raison qu’elle agit avec une grande détermination, en obtenant du Pape la permission de ne posséder aucune propriété matérielle. Il s’agissait d’une exception véritablement extraordinaire par rapport au droit canonique en vigueur à l’époque, exception concédée car le pape a vu les fruits que portaient la vie de pauvreté de Claire et de ses sœurs. Cela montre que même au cours des siècles du Moyen âge, le rôle des femmes n’était pas secondaire, mais considérable. A cet égard, il est bon de rappeler que Claire a été la première femme dans l’histoire de l’Eglise à avoir rédigé une Règle écrite, soumise à l’approbation du Pape. Elle appellera son ordre les « Pauvres Dames. »

1.3 Une supérieure qui donne l’exemple !

Dans le couvent de Saint-Damien, Claire pratiqua de manière héroïque les vertus qui devraient distinguer chaque chrétien : l’humilité, l’esprit de piété et de pénitence, la charité. Bien qu’étant la supérieure, elle voulait servir personnellement les sœurs malades, en s’imposant les tâches les plus humbles. Claire fut donc modèle de charité, mais aussi de foi. En effet, sa foi dans la présence réelle de l’Eucharistie était si grande que, par deux fois, un fait prodigieux se réalisa. Par la seule ostension du Saint Sacrement, elle éloigna les soldats mercenaires sarrasins, qui étaient sur le point d’agresser le couvent de Saint-Damien et de dévaster la ville d’Assise. 

Ces épisodes, comme d’autres miracles, dont est conservée la mémoire, poussèrent le Pape Alexandre IV à la canoniser deux années seulement après sa mort, en 1255, traçant un éloge dans la Bulle de canonisation, où nous lisons ceci. « Comme est vive la puissance de cette lumière et comme est forte la clarté de cette source lumineuse. Vraiment, cette lumière se tenait cachée dans la retraite de la vie de clôture et dehors rayonnaient des éclats lumineux ; elle se recueillait dans un étroit monastère, et dehors elle se diffusait dans la grandeur du monde. Elle se protégeait à l’intérieur et elle se répandait à l’extérieur. Claire en effet, se cachait : mais sa vie était révélée à tous. Claire se taisait mais sa renommée criait. » (FF, 3284). 

Benoit XVI parlant de Claire dira : Ce sont les saints qui changent le monde en mieux, le transforment de manière durable, en insufflant les énergies que seul l’amour inspiré par l’Evangile peut susciter. Les saints sont les grands bienfaiteurs de l’humanité !

         Je termine en citant une anecdote que raconte le père Cantalamessa, lui aussi fils de St François. Cet événement dont je vais parler, on peut le dater au début de l’aventure de l’amitié spirituelle qui a lié François et Claire. Un jour, François se promenait dans un pré et Claire le suivait. Elle faisait bien attention, comme par jeu, de mettre ses pas exactement dans les traces de pas que François laissait dans l’herbe. S’en apercevant, il pose la question à Claire : « ne serais-tu pas en train de suivre mes traces ? » Elle lui répond malicieusement : « Non ! Je mets mes pas dans d’autres traces, beaucoup plus profondes ! » Très belle manière de dire que ce qui les unissait si fortement c’est qu’ils mettaient l’un et l’autre leurs pas dans les traces laissées par le Christ et c’est en suivant ces traces qu’ils sont devenus saints comme, nous, nous deviendrons saints en suivant les traces du Christ. Finalement, les saints ne sont là que pour nous indiquer comment suivre les traces du Christ !

2. Comment aimer Dame Pauvreté ?

François a épousé Dame Pauvreté, Claire a fondé, à sa suite, l’ordre des Pauvres Dames, tous deux nous parlent de la pauvreté. Nous aurions pu, dans le cadre de cette journée, réfléchir sur la pauvreté. Mais ce n’est jamais simple de parler de la pauvreté matérielle parce qu’on peut dire beaucoup de bêtises ! On risque vite de culpabiliser ceux qui ne sont pas pauvres alors que le problème pour Jésus dans l’Evangile n’est pas d’avoir des biens, mais de savoir ce qu’on fait de nos biens, il s’agit de faire du bien avec ses biens. Et puis on risque vite d’avoir des propos blessants pour ceux qui sont dans la pauvreté parce qu’une chose est de choisir la pauvreté, une autre est de la subir, ce n’est vraiment pas pareil !

Par contre, il y a une pauvreté que nous partageons tous et sans l’avoir choisie, c’est notre pauvreté humaine liée à notre état de créature et il va nous falloir accepter de consentir à cette pauvreté sinon, nous ne pourrons pas vivre sereinement.

2.1 Deux rêves terribles qui nous habitent : toute-puissance et impeccabilité.

Il vaut mieux le reconnaître, il y a coincé au fond de nous un rêve de toute-puissance et ça commence tôt, il n’y a qu’à voir les caprices d’un enfant quand il voit que les choses, les personnes lui résistent. Tout ne se passe pas comme il voudrait et ça le contrarie profondément. L’éducation, au moins pour une part, va précisément consister à intégrer les frustrations et on voit les drames que ça produit chez ceux qui n’ont pas été éduqués : ils sont plongés dans la violence, la tyrannie, la délinquance … rien ne doit leur résister, il leur faut tout et tout de suite ! Avec ce rêve de toute-puissance, il y a aussi, qui lui est lié, un rêve d’impeccabilité, étymologiquement, ça signifie être sans péché. Nous ne supportons pas de ne pas être celui ou celle que nous rêvons d’être, nous ne supportons pas nos failles, nos médiocrités que nous essayons de cacher comme nous pouvons alors que, souvent, elles se voient comme le nez au milieu de la figure !

Toute-puissance et impeccabilité, ce sont les attributs de Dieu, le Créateur, mais, nous, nous sommes des créatures, nous ne pouvons donc pas être tout-puissants et encore moins impeccables, puisque nous sommes tous marqués par la blessure du péché originel. Et d’ailleurs heureusement que nous ne pouvons pas être tout-puissants car, comme nous sommes pécheurs, ça ferait des ravages ! Ceux qui cherchent à le devenir deviennent des tyrans ! Dieu, lui parce qu’il est sans péché, sa toute-puissance est, et n’est qu’une toute-puissance d’amour. Il nous faut donc apprendre à CONSENTIR à notre état de créature, je ne suis ni tout-puissant, et tant mieux pour les autres (et pour moi par ricochet !), ni impeccable. Ma vie va donc être un long apprentissage qui doit me permettre de trouver le bonheur dans les limites de ma situation de créature, donc en acceptant mes pauvretés. Vous entendez bien que je parle de pauvreté et non de médiocrité : la médiocrité, le péché, il faut les combattre et la pauvreté, il faut l’accepter, consentir joyeusement. Moi qui réfléchis en chrétien, je parle de pauvreté, les psys préfèrent parler de fragilité, mais c’est la même réalité. Puisque je viens de distinguer deux mots : pauvreté et médiocrité, je vais en distinguer deux autres : pauvreté et vulnérabilité. La vulnérabilité, c’est le fait de s’exposer, c’est prendre le risque d’être atteint par la souffrance de l’autres qui renvoie à ma propre fragilité, à ma propre pauvreté. Je ne peux pas trop développer mais pour ceux que ça intéresse, dans mon texte, je cite un passage du livre du père Bernard Ugueux, spécialiste des questions d’accompagnement dans la relation de soins, vous le lirez si vous voulez creuser. Le livre, c’est : « La fragilité faiblesse ou richesse ? »

 « J’aime distinguer la vulnérabilité de la fragilité, dans une relation d’aide ou de soins. Oser se montrer vulnérable, c’est oser s’exposer. C’est prendre le risque d’être atteint, blessé voire déstabilisé par la souffrance de l’autre, par sa fragilité, qui renvoie à la nôtre. Lorsque l’on ose être et se montrer vulnérable, les autres osent exposer leur fragilité et solliciter la compassion… Pour oser être vulnérable il faut avoir été soi-même blessé sans avoir été détruit, avoir été atteint au défaut de la cuirasse, avoir été déchiré sans que la béance ne se soit définitivement refermée, durcie. Pour pouvoir être vulnérable, il faut être fort, fort dans le sens de « construit intérieurement ». Cette construction intérieure ne peut se faire qu’à travers le chemin du pardon et grâce à l’apprentissage du consentement à se laisser aimer. Ne comptant plus sur moi-même, conscient de mon incapacité d’aimer quand je suis blessé, confronté à mes résistances intérieures par rapport au pardon, tenter de me replier sur mes blessures et mes limites, heureux suis-je si, acceptant de me laisser aimer, je me laisse guérir grâce à la proximité des autres, d’un Autre qui m’aime et m’accueille avec mes fragilités, sans jugement, comme je suis. Alors, du cœur de ma fragilité reconnue et acceptée, sourd une force, une capacité d’accueillir la fragilité, la misère même des autres avec tendresse, en me laissant toucher, mais sans me laisser envahir ou détruire. Forts d’une puissance d’amour et de compassion qui ne vient pas de moi, je peux écouter et accueillir. Ayant trouvé là « distance juste », je suis à la fois assez fragile et assez fort pour être et me montrer vulnérable. Aimer jusqu’à oser être vulnérable, c’est aimer comme le Christ nous a aimés. La seule façon de ne pas en faire un masochisme ou de ne pas surestimer nos forces, car elles ne viennent pas de nous, c’est de puiser au quotidien dans son cœur à Lui la force et l’audace d’être vulnérable. » in « La fragilité faiblesse ou richesse ? » p.18-19

2.2 Un renoncement jamais simple t jamais fait une fois pour toutes !

On a beau savoir tout ce que je viens de dire, ce n’est pas simple de renoncer à ces rêves de toute-puissance et d’impeccabilité, ce n’est pas simple de consentir joyeusement à notre pauvreté qui est donc la conséquence de notre état de créature. Qui d’entre nous n’a jamais rêvé de pouvoir arriver devant son confesseur et de lui faire cette joyeuse surprise : aujourd’hui zéro péché ! Bien sûr qu’il faut chercher à devenir meilleur, comme je le disais à lutter contre la médiocrité, mais notre pauvreté nous collera toujours à la peau et j’ai envie de dire : tant mieux ! En effet, notre misère est comme un paratonnerre qui attire sa miséricorde. Je voudrais que nous regardions ensemble l’exemple de St Paul et le chemin que le Seigneur lui a fait faire.

Nous en avons un écho extraordinaire dans la 2° lettre aux Corinthiens au chapitre 12, 7-10. Nous allons le lire. 7 Et afin que je ne m’enorgueillisse pas à cause de l’extraordinaire des révélations, il m’a été donné une écharde pour la chair, un ange de Satan pour me souffleter, afin que je ne m’enorgueillisse pas. 8 À ce sujet j’ai supplié trois fois le Seigneur, afin qu’elle se retirât de moi ; 9 et il m’a dit : Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans l’infirmité. Je me glorifierai donc très volontiers plutôt dans mes infirmités, afin que la puissance du Christ demeure sur moi. 10 C’est pourquoi je prends plaisir dans les infirmités, dans les outrages, dans les nécessités, dans les persécutions, dans les détresses pour Christ : car quand je suis faible, alors je suis fort.

         À quoi Paul fait-il allusion en parlant de cette écharde dans sa chair ? Nous ne savons pas de quoi il s’agit, mais ce qui est clair, c’est qu’il a demandé à être débarrassé de quelque chose (défaut, péché) qui le gênait autant que peut gêner écharde dans la chair, qui le faisait souffrir autant qu’une écharde dans la chair et ce n’est pas peu dire ! 

C’est pour être plus adapté à la mission qu’il avait reçue qu’il voulait en être débarrassé parce qu’il était conscient que ça risquait de devenir un contre-témoignage. Il a dû prier et prier et voilà qu’un jour la lumière lui est donnée : non, Paul, tu garderas ça et grâce à cette écharde, tu pourras encore progresser. Pourquoi, comment ? Si nous ne savons pas ce qu’est l’écharde dans la chair de Paul, par contre, nous connaissons très bien les nôtres !

2.3 La fragilité est l’espace qui permet à Dieu de s’infiltrer en nous

         Il y a un grand risque à devenir parfait : c’est de se passer de Dieu ! C’est d’ailleurs ce que suggère le serpent dans le livre de la genèse dans cette tentation terrible : si vous mangez, vous pouvez devenir comme Dieu. Devenir comme Dieu, ce n’est pas mauvais en soi, au contraire, c’est même notre vocation ultime si bien exprimée par les orthodoxes qui parlent de divinisation. Mais il y a un double problème avec le serpent : d’abord, il suggère que l’on peut devenir comme Dieu sans l’intervention de Dieu, par nous-mêmes et en plus il laisse entendre que, devenus comme Dieu, on pourra se passer de Dieu, on n’aura plus besoin de lui et ça sera une grande libération pour les hommes … le serpent est le père de l’athéisme !

Ce désir de perfection qui l’habitait, par la réponse que le Seigneur lui fait, Paul va prendre conscience que c’était finalement une suggestion du tentateur. Sa pauvreté, sa fragilité seront donc son Salut car il va être obligé de se tourner en permanence vers Dieu, de compter sur lui. Il en va de même pour nous, c’est le fait que Dieu nous demande des choses impossibles à nous qui ne sommes pas des surhommes qui va nous obliger à puiser en lui ce que nous n’avons pas en nous. Et quand on compte sur Dieu, quand on puise en Dieu, on devient capable d’accomplir des merveilles ! C’est ce qu’on fait François et Claire et c’est pour cela qu’ils ont choisi la pauvreté : pour ne compter que sur Dieu … évidemment, c’est plus facile à vivre quand on est religieux que lorsqu’on est chargé de famille !

Mais pour compter sur Dieu, il faut avoir fait cette expérience qu’on a fondamentalement besoin de lui. Une oraison de la messe le dit très bien : « sans toi notre vie tombe en ruine. » Comme c’est vrai ! La perfection risquerait de nous envelopper dans une carapace d’orgueil, de suffisance qui ne permettrait plus à Dieu de passer en nous et qui nous rendrait imbuvables, intolérants. Voilà ce que Paul a fini par comprendre, voilà ce qu’il nous faut aussi comprendre et faire comprendre à tous ceux qui confondent sainteté et perfection.

         Vous connaissez sans doute cette parabole qui nous vient d’un rabbin inconnu : “ Chacun de nous est relié à Dieu par un fil. Et lorsqu’on commet un péché, le fil est cassé. Mais lorsqu’on demande pardon, Dieu fait un nœud au fil. Du coup le fil est plus court qu’avant… Et le pécheur un peu plus près de Dieu ! Ainsi de péché en pardon, de nœud en nœud, nous nous rapprochons de Dieu. Finalement, chacun de nos péchés est l’occasion de raccourcir d’un cran la corde à nœuds et d’arriver plus vite près du cœur de Dieu.”

         On peut vraiment le dire : Tout est grâce… même les péchés mais il faut s’empresser de rajouter : quand ils conduisent au pardon. Oui, parce qu’il peut y avoir parfois des éloges de la faiblesse qui nous laissent mal à l’aise. Ce n’est pas le fait d’être pécheur qui est un titre de gloire, mais d’être pécheur pardonné. La faiblesse n’est une grâce que parce qu’elle est une brèche qui permet à Dieu de passer. Il faut donc arrêter de demander pardon à Dieu pour nos faiblesses et nos fragilités. Non ! On n’en demande pardon que si elles nous ferment sur nous-mêmes mais, en soi, la faiblesse n’est pas un péché … au contraire. C’est ce que Paul va comprendre et c’est ainsi qu’il pourra dire dans la 2° aux Corinthiens au chapitre 4, les versets 5 à 7 : « Nous ne nous prêchons pas nous-mêmes ; c’est Jésus Christ le Seigneur que nous prêchons, et nous nous disons vos serviteurs à cause de Jésus. Car Dieu, qui a dit : La lumière brillera du sein des ténèbres a fait briller la lumière dans nos cœurs pour faire resplendir la connaissance de la gloire de Dieu sur la face de Christ. Nous portons ce trésor dans des vases de terre, afin que cette grande puissance soit attribuée à Dieu, et non pas à nous. » Paul a bien compris que s’il était parfait, le risque c’était non seulement qu’il ne fasse plus appel à Dieu dans sa vie mais pire encore qu’il cherche à se faire admirer lui-même. Les gens trop bien disent : regardez-moi !

         On pourrait beaucoup développer tout cela parce que, finalement, pour nous aider à consentir à notre pauvreté, notre fragilité que nous ne choisissons pas, le Christ, lui, a choisi de se faire pauvre et de nous sauver en consentant à l’extrême fragilité. C’est encore Paul qui l’exprimera si bien dans l’hymne aux Philippiens 2,6-11 :             Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame : « Jésus Christ est Seigneur » à la gloire de Dieu le Père.

Conclusion : Le merveilleux texte de Péguy

         Pour terminer, je vous cite ce texte que vous connaissez sans doute de Péguy qui résume si bien tout ce que j’ai voulu vous dire. J’en cite un autre à la suite que je n’aurai peut-être pas le temps de lire, il est d’un pasteur protestant qui, en reprenant le texte de Paul sur les vases d’argile, affirme que les chrétiens ne sont pas de la vaisselle de luxe.

« Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise pensée. C’est d’avoir une pensée toute faite. Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise âme et même de se faire une mauvaise âme. C’est d’avoir une âme toute faite. Il y a quelque chose de pire que d’avoir une âme même perverse. C’est d’avoir une âme habituée. On a vu les jeux incroyables de la grâce et les grâces incroyables pénétrer une mauvaise âme et même une âme perverse et on a vu sauver ce qui paraissait perdu. Mais on n’a jamais vu mouiller ce qui était verni, on n’a pas vu traverser ce qui était imperméable, on n’a pas vu tremper ce qui était habitué. Les “honnêtes gens” ne mouillent pas à la grâce. C’est que précisément les plus honnêtes gens, ou simplement les honnêtes gens, ou enfin ceux qu’on nomme tels, n’ont point de défauts eux-mêmes dans l’armure. Ils ne sont pas blessés. Leur peau de morale, constamment intacte, leur fait un cuir et une cuirasse sans faute. Ils ne présentent pas cette ouverture que fait une affreuse blessure, une inoubliable détresse, un regret invincible, un point de suture éternellement mal joint, une mortelle inquiétude, une invincible arrière-anxiété, une amertume secrète, un effondrement perpétuellement masqué, une cicatrice éternellement mal fermée. Ils ne présentent pas cette entrée à la grâce qu’est essentiellement le péché. Parce qu’ils ne sont pas blessés, ils ne sont pas vulnérables. Parce qu’ils ne manquent de rien, on ne leur apporte rien. Parce qu’ils ne manquent de rien, on ne leur apporte pas ce qui est tout. La charité même de Dieu ne panse point celui qui n’a pas de plaies. C’est parce qu’un homme était par terre que le Samaritain le ramassa. C’est parce que la face de Jésus était sale que Véronique l’essuya d’un mouchoir. Or celui qui n’est pas tombé ne sera jamais ramassé ; et celui qui n’est pas sale ne sera pas essuyé. Les honnêtes gens ne mouillent pas à la grâce. »

Œuvres en prose, 1909-1914, Charles Péguy, éd. Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1959, p. 1397

       Nous portons un trésor. Nous le portons au cœur de ce monde, pour ce monde et aussi pour nous. Mais quel est ce trésor, cette lumière qui resplendit dans les ténèbres ? Ce trésor, c’est la résurrection commencée en nous par Dieu ; c’est le travail de l’Esprit du Christ en nous. C’est Dieu à l’œuvre, maintenant, et c’est la promesse de Dieu pour tous. Il s’agit, au fond, d’être des ressuscités contagieux ! Seulement, nous avons tous des raisons de penser que nous représentons mal le Christ auprès des autres, que nous en sommes indignes ou incapables… 

Mais les chrétiens ne peuvent pas et ne doivent pas être autre chose que des vases d’argile, de la vaisselle commune et fragile. Ainsi, les autres voient qu’ils peuvent eux aussi devenir porteurs de ce trésor. Et c’est peut-être même quand le récipient est ébréché, fendu, cassé et visiblement rafistolé qu’on peut le mieux voir le trésor qui est à l’intérieur, et qu’on a envie d’en savoir davantage. Comment pourrions-nous parler de libération si nous n’avons jamais été captifs et libérés de quoi que ce soit ? Comment parler de guérison si nous n’avons jamais eu besoin d’être guéris ? Comment pourrions-nous parler de joie si nous ne savons pas ce qu’est la détresse intérieure ? Nous aimerions être plus brillants, plus fins, plus transparents… et plus dignes de porter ce trésor ! Nous souffrons de n’être que de la vaisselle de terre cuite, épaisse, fragile… Mais c’est le choix de Dieu. Paul considérait que ses faiblesses comme ses forces étaient des dons de Dieu, et il les mettait au service de Dieu. Il croyait que le Seigneur pouvait faire quelque chose de bien à travers lui ; il croyait que Dieu l’avait choisi comme serviteur pour se faire connaître aux autres, malgré ses limites et ses fragilités. Comme Paul, nous ne sommes pas autre chose que des récipients de terre cuite, mais croyons que nous portons un trésor. Laissons-nous libérer de la honte de n’être que des récipients de terre ; laissons-nous guérir de l’envie d’être autre chose. Soyons paisiblement, courageusement et joyeusement ce que nous sommes : de la grosse vaisselle de terre cuite, opaque, fragile, fêlée et recollée. Mais Dieu y a placé un trésor pour nous et pour les autres. C’est peut-être de l’humour de sa part ; c’est sûrement de l’amour. Alors laissons cette joie éclater en nos cœurs et nous pourrons, comme Paul, irrésistiblement, annoncer la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ ressuscité. 

                                                        (D’après Alain Arnoux, Eglise réformée de Mulhouse) 

Cette publication a un commentaire

  1. Jean Marc

    MERCI ! N’est-ce pas dans la nuit que les étoiles brillent ?

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