Nous avons entendu en 1° lecture un extrait du livre de Ben Sira, le Sage. D’abord une petite précision, on peut très bien vivre sans retenir ce que je vais dire, mais quand on cherche à se repérer dans une Bible, c’est mieux de le savoir ! Il y a deux autres appellations possibles pour désigner le livre de Ben Sira, selon les Bibles, il peut aussi s’appeler « le Siracide » ou « l’Ecclésiastique » qu’il ne faudra pas confondre avec un autre livre qui, lui s’appelle « l’Ecclésiaste » ou le livre de Qohéleth. Voilà pour la précision de vocabulaire ! Comme son nom l’indique ce livre de Ben Sira dit « le Sage » est un livre de Sagesse qui a été écrit vers 200 avant Jésus-Christ. C’est dire que la Révélation a déjà bien progressé puisque depuis des siècles, les prophètes, au nom de Dieu, ont aidé le peuple à mieux comprendre qui est Dieu et comment on entre en relation vraie avec lui. `
On voit bien que la révélation a avancé parce que dans le passage que nous avons entendu, Ben Sira commence à remettre en cause ce qui a été un pilier du judaïsme, je veux parler du système des sacrifices. Dans le judaïsme, mais comme dans toutes les religions de l’époque, il y avait cette idée bien ancrée que les faveurs de Dieu se paient. Si tu veux obtenir de Dieu une grâce, tu ne peux pas te présenter les mains vides pour demander cette grâce. Et plus ce que tu veux demander va être important, plus il te faudra offrir quelque chose de valeur. Pour une petite grâce, une tourterelle, pour une grâce moyenne, une brebis et pour une grande grâce, un bœuf !
C’est ainsi que le Temple était devenu un véritable marché aux bestiaux dégageant des bénéfices appréciables pour ceux qui travaillaient dans ce bisness et pour les prêtres qui touchaient pas mal de dividendes en nature ! Nous savons, par les Evangiles, que ça ne plaira pas du tout à Jésus. Non pas que Jésus n’aimait pas les animaux, mais il n’aimait pas qu’on trafique avec Dieu. Il ne pouvait pas supporter l’idée que Dieu ferait payer les grâces qu’il accorde, que Dieu ferait payer son amour qu’il répand si largement et gratuitement. C’est donc pour cela qu’il va prendre un coup de sang et renverser les tables des changeurs et libérer les bêtes pour purifier le Temple, mais surtout purifier la religion de cette conception si fausse de Dieu. Dieu n’est pas un marchand de tapis avec qui il faudrait négocier pour obtenir les meilleures grâces au meilleur prix !
Mais Jésus n’a donc pas été le 1° à remettre en cause ce système, Ben Sira l’avait fait 200 avant lui et pour être tout à fait honnêtes, les prophètes avaient déjà commencé à le faire. Nous avons entendu dans la 1° lecture ces paroles si fortes : « N’essaye pas de l’influencer par des présents, il ne les acceptera pas ! » Si vous avez écouté avec attention, vous pourriez me dire : oui, mais il y avait aussi cette parole qui semble contredire ce que vous venez d’expliquer : « Ne te présente pas devant le Seigneur les mains vides. » C’est vrai ! Mais justement, Ben Sira va dire que Dieu ne s’intéresse pas à ce qu’on lui offre habituellement, ce que Dieu attend, c’est tout autre chose. Ecoutez comme c’est révolutionnaire pour l’époque ce que dit Ben Sira : « On obtient la bienveillance du Seigneur en se détournant du mal ; on offre un sacrifice d’expiation en se détournant de l’injustice. » Et Ben Sira va expliquer de manière très concrète comment remplacer les sacrifices de bestiaux par des sacrifices qui plaisent bien plus à Dieu, il semble donner un tableau de concordance pour qu’on trouve l’équivalence des valeurs : « C’est présenter de multiples offrandes que d’observer la Loi ; c’est offrir un sacrifice de paix que s’attacher aux commandements. C’est apporter une offrande de fleur de farine que se montrer reconnaissant ; c’est présenter un sacrifice de louange que faire l’aumône. » Alors vous pourriez me dire : mais en quoi ça nous concerne ces vieilles histoires ? Nous on est sorti depuis belle lurette de la religion des sacrifices ! Oui, sans doute, mais sommes-nous vraiment sortis du donnant-donnant dans notre relation avec Dieu ? N’agissions-nous pas, dans nos relations avec Dieu, comme des marchands de tapis ?
Et j’oserais presque dire que nous sommes pires que les juifs. Parce que les juifs, eux ils payaient avant, ils payaient pour recevoir … alors que nous, nous promettons de payer, mais après … quand le Seigneur aura effectué la livraison des grâces demandées ! Si tu m’accordes telle grâce, je ferai ceci ou cela, on promet de payer, mais après … pas fou, comme ça, si ne marche pas, on ne doit rien ! Comme nous avons du mal à croire en la gratuité de l’amour de Dieu sur lequel nous avons médité longuement. Dieu ne demande rien pour nous donner son amour et, quand il l’a donné, il n’exige rien en retour. Tout est gratuit, je vous ai dit que gratuit, c’était l’une des traductions concrètes de ce concept théologique abstrait qu’est la grâce et qui est le cœur de l’épître aux Romains qui nous sert de guide dans cette retraite. L’amour de Dieu est gratuit ! Dès l’office de Laudes, ce matin, nous l’entendions dans la Parole à travers ces si belles paroles d’Isaïe : « Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau ! Même si vous n’avez pas d’argent, venez acheter et consommer ; venez acheter du vin et du lait, sans argent et sans rien payer. » Comme nous avons aussi réfléchi sur le péché ce matin, voilà encore un bien gros péché : ne pas croire en la gratuité de l’amour de Dieu. »
Vous connaissez la boutade de Voltaire : Dieu a créé l’homme à son image et l’homme le lui a bien rendu ! Oui, c’est vrai, nous sommes sans arrêt en train de penser que Dieu est à notre image, qu’il est comme nous. Et, comme nous, nous sommes souvent radins, nous pensons que Dieu l’est aussi et qu’il fait payer tout ce qu’il donne. Eh bien, non ! L’amour de Dieu est gratuit et puisque c’est nous qui sommes à l’image de Dieu et pas l’inverse, nous devrions aimer comme lui, c’est-à-dire gratuitement !
Et finalement, avec l’Evangile, nous restons bien dans le même thème de la gratuité. Pierre qui est le capitaine de l’équipe apostolique s’avance pour négocier les primes de match ! « Et nous avons tout quitté pour te suivre, qu’est-ce qu’on aura de plus que les autres ? » Pierre a bien du mal à vivre dans le registre de la gratuité, il est dans le donnant-donnant : on a beaucoup donné puisqu’on a tout quitté, donc il serait normal que nous recevions beaucoup plus que les autres ! Et alors, je trouve la réponse de Jésus d’une infinie délicatesse ! Jésus ne s’énerve pas en disant à Pierre qu’il n’a rien compris et qu’il ne comprendra jamais rien ! Non, il répond à Pierre en utilisant son registre : tu veux plus et moi je te dis que tu auras plus, vraiment plus puisque tu auras tout !
Il y a une histoire que j’aime bien raconter. Je l’ai sûrement déjà raconté ici, mais elle dit si bien ce que je veux expliquer et que Jésus cherche à expliquer à Pierre. « 3 femmes sont en extase devant la vitrine d’une bijouterie. La 1° dit : si un bon génie venait à moi pour me dire qu’il pourrait réaliser un vœu, je lui demanderai cette rivière de diamants. La 2° dit : et si le bon génie me demandait la même chose, moi je demanderais cette bague avec toutes ces pierres précieuses. Elles se tournent vers la 3° en lui disant : toi, inutile de te demander, vu comme tu aimes les montres, tu demanderais forcément cette montre avec son bracelet si précieux ! Et la 3° leur répond : pas du tout, si le bon génie me demandait un vœu, je lui demanderais de pouvoir épouser le bijoutier ! »
Nous ne sommes pas venus en retraite pour demander que le Seigneur nous offre tel ou tel bijou qui nous fait rêver, traduisez telle ou telle grâce. Nous sommes venus parce que nous voulons être pour toujours avec le bijoutier et ainsi TOUT sera à nous. Parce qu’on ne peut pas rêver de plus quand on a le Seigneur avec nous. C’est ce que fait remarquer le père de la parabole au fils aîné qui se plaignait, lui aussi, de ne pas avoir assez reçu en comparaison de ce qu’il avait donné, le père lui dit : mais, toi, mon enfant tu as toujours été avec moi, ça signifie que ma présence à tes côtés est plus que tout ce que tu n’osais pas imaginer et quand je suis avec toi, alors tout ce qui est à moi est aussi à Toi. Il n’y a rien de mieux que le bijoutier ! Visez haut dans cette retraite, ne demandez pas pas telle ou telle grâce, mais demandez le bijoutier !